Quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?
Gilles de Margerie : L’année 2019 a été fructueuse du point de vue de notre capacité à apporter un matériau utile tant aux décideurs que pour nourrir le débat public, avec une série d’analyses, d’études prospectives, et de propositions qui ont eu l’écho qu’on pouvait en espérer. En particulier, deux publications ont retenu l’attention : la note d’analyse sur les émissions de CO2 des voitures qui constate que celles-ci ne baissent plus depuis vingt ans et propose d’indexer le bonus/malus, créé pour encourager l’achat de véhicules propres, sur le poids des voitures. Et le rapport sur la politique agricole commune qui envisage d’en faire un levier de la transition agroécologique en renforçant son ambition environnementale à budget inchangé. Ces propositions ont permis à la réflexion collective de progresser sur ces deux sujets.
Quelle place a occupé l’évaluation dans vos travaux en 2019 ?
Cédric Audenis : 2019 a été une année charnière en matière d’évaluation pour France Stratégie. Nous avons commencé l’année avec un nouveau rapport de la Cnepi (Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation) sur l’évaluation du crédit d’impôt recherche qui confirme qu’il génère à peu près la R&D équivalente au montant d’aide publique. On a ensuite publié un deuxième rapport en octobre sur la réforme de la fiscalité du capital, rapport évidemment très attendu ! L’exercice était complexe puisque nous n’avions pas encore assez de recul pour répondre aux demandes de façon exhaustive. Et pourtant nous avons réussi à apporter de la matière, notamment avec une revue de littérature et l’exploitation de données inédites. À l’automne, deux nouveaux comités d’évaluation ont été installés à France Stratégie : le comité d’évaluation de la loi Pacte (loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises), et le comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, présidé par Louis Schweitzer. Ces deux comités vont nous obliger à renouveler nos approches puisque, par rapport aux autres exercices, ce ne sont pas une ou deux mesures que nous devons évaluer mais, dans chacun des cas, une vingtaine ou une trentaine de mesures !
Quels sont les « grands débats » de l’année écoulée auxquels France Stratégie a participé ?
G. de M. : Nous avons, je crois, enrichi le débat public sur la transition écologique, notamment climatique mais pas seulement. Je pense ici par exemple au rapport sur la valeur de l’action pour le climat ou à celui sur l’artificialisation des sols, commandé par le gouvernement pour abonder le plan biodiversité. Nous avons aussi poursuivi l’analyse de l’allocation des moyens publics, en particulier celle des moyens de l’éducation nationale au niveau territorial ou plus généralement celle des emplois publics. Une analyse qui fait notamment apparaître que les zones rurales ne sont pas perdantes en termes de services publics de proximité mais que les métropoles sont bien les grandes gagnantes en termes d’emploi public national ou suprarégional, ce qui ouvre la voie à des réflexions sur la possibilité de développer des services publics « à vocation territoriale large » dans les villes moyennes.
C. A. : Nous avons aussi consacré beaucoup de moyens à l’exercice de projection des métiers à l’horizon 2030 mené avec la Dares, qui sera publié en 2020. C’est un très gros travail de modélisation qui a pour finalité d’identifier et donc de pouvoir prévenir les difficultés de recrutement qui pourraient peser sur la croissance dans dix ans.
Justement, la croissance potentielle, la productivité... Quid des sujets « économiques » en 2019 ?
C. A. : En 2019, nous avons naturellement contribué au rapport du Conseil national de productivité. France Stratégie en assume le rôle de rapporteur général et réalise également des études pour améliorer la connaissance du sujet. Nous avons notamment publié en fin d’année une étude sur les entreprises zombies en exploitant une base de données originale pour tester l’hypothèse généralement admise que le ralentissement de la productivité peut avoir comme cause le maintien en activité d’entreprises qui devraient faire faillite. Cette étude a montré que ce phénomène, s’il existe, est tout à fait minoritaire dans l’explication du ralentissement des gains de productivité français, et surtout qu’il ne singularise pas la France.
Comment France Stratégie va-t-elle s’adapter pour répondre aux défis économiques, sociaux et environnementaux soulevés par la crise sanitaire Covid-19 ?
G. de M. : Notre objectif reste le même : verser au débat et fournir aux décideurs des instruments utiles à la compréhension et à l’action publique. Les travaux menés en 2019 ont fait apparaître la nécessité de réfléchir à l’articulation d’une série de politiques publiques autour du thème des soutenabilités. En révélant les fragilités et les failles de notre modèle de développement, la crise sanitaire nous conduit à orienter le cycle de séminaires lancé en février dernier sur ces enjeux. Aujourd’hui, un devoir d’imagination collective s’impose à nous : il convient de repenser ce modèle de manière plus soutenable, pour préparer l’avenir. Notre programme de travail évolue donc pour se tourner vers la préparation de l’après-crise, avec un approfondissement et une accélération de certains travaux. Le séminaire « Soutenabilités » s’est ainsi adapté, avec l’ouverture d’un espace contributif où la réflexion, les opinions et les propositions pour préparer le monde « d’après » pourront se confronter, être discutées, et s’enrichir mutuellement.