Le Parlement a chargé ce comité de suivre et d’évaluer l’impact des mesures de soutien aux entreprises françaises face à la pandémie de Covid-19. L’exercice est difficile pour plusieurs raisons. D’une part, ces mesures sont nombreuses et de natures très différentes (prêts et subventions notamment). D’autre part, on ne sait pas ce qu’auraient été les trajectoires des entreprises en leur absence. Enfin, elles ont évolué à plusieurs reprises depuis leur mise en place en mars 2020.
En effet, certaines mesures (notamment le fonds de solidarité) ont été significativement transformées puis, depuis juin 2021, ont commencé à être progressivement retirées. Il est donc évident que ce rapport ne peut être considéré comme clôturant les questionnements sur leur impact. Il serait souhaitable que d’autres évaluations soient menées ultérieurement, en particulier par des équipes universitaires en mettant à profit les données rassemblées dans le cadre de ce comité, qui sont accessibles aux chercheurs dans le respect des règles du secret statistique.
Néanmoins, malgré le manque de recul temporel, un travail considérable a déjà pu être mené. La quantité et la précision des connaissances quantitatives et qualitatives accumulées dans le cadre des travaux du comité n’ont pas d’équivalent en Europe et permettent d’ores et déjà d’émettre un premier avis sur les quatre principales mesures de soutien aux entreprises : fonds de solidarité, activité partielle, prêt garanti par l’État, report de cotisations sociales. Les autres mesures sont décrites dans le rapport mais n’ont pas fait l’objet d’une évaluation aussi fouillée du fait de leur portée plus limitée, de données parcellaires ou de leur mise en place plus tardive.
Les dispositifs semblent avoir atteint leurs objectifs
La mise en place a été très rapide au début du printemps 2020 et le recours aux dispositifs globalement aisé, notamment du fait de leur caractère universel qui réduisait au maximum les formalités et contrôles ex ante[1], avec des délais de versement rapides. La mise en place des dispositifs par l’État et ses opérateurs fait d’ailleurs l’objet d’un satisfecit d’ensemble, et leur traçabilité quasiment en temps réel est un progrès par rapport à la crise précédente. Le fonds de solidarité, dont les conditions d’emploi étaient initialement centrées sur les très petites entreprises dans la perspective d’une crise de durée limitée, a été progressivement renforcé et transformé à partir de l’automne 2020. Cette évolution a eu pour contrepartie une complexification des critères d’éligibilité et de calcul de l’aide et un rallongement des délais de versement, notamment dû au renforcement des contrôles ex ante. Les principaux pays européens étudiés ont globalement mis en place des dispositifs similaires, mais la France se caractérise par une palette diversifiée de dispositifs, alors que ses partenaires ont fait des choix plus marqués.
Les montants des dispositifs ont été globalement suffisants pour préserver la situation financière de la grande majorité des entreprises, ce que l’on constate aussi bien au niveau macroéconomique (avec l’évolution du taux de marge ou des excédents bruts d’exploitation sectoriels) qu’au niveau des entreprises (tant avec les modèles de micro-simulation, y compris les estimations réalisées pour ce comité sur la compensation de la baisse de l’excédent brut d’exploitation des entreprises, qu’avec les premières données de la Banque de France sur leur trésorerie à fin 2020).
De manière générale, les données les plus récentes sur la situation économique française sont rassurantes, dans l’absolu et en comparaison européenne. Les défaillances d’entreprises restent à des niveaux très faibles, l’emploi salarié est très résilient (tout comme l’emploi non salarié), ce qui a contribué à préserver globalement le revenu des ménages, et le rebond de l’activité à chaque déconfinement est très encourageant. Toutefois, les études disponibles suggèrent que certaines catégories de ménages (notamment les jeunes, les indépendants et les ménages les plus modestes) sortent de la crise avec une situation financière plus fragile.
Des effets d’aubaine réels, mais modérés compte tenu de la portée générale des mesures
Devant l’urgente nécessité de préserver le tissu productif face à un choc économique inégalé, le gouvernement a fait le choix en mars 2020 de dispositifs universels, sans conditionnalité (hormis la baisse de chiffre d’affaires pour bénéficier du fonds de solidarité, et les « engagements de responsabilité » des grandes entreprises, mais sans conditionnalité sociale ni environnementale, par exemple[2]).
Dès lors, les effets d’aubaine[3] étaient le prix à payer pour la rapidité d’attribution des dispositifs et pour éviter au maximum les « trous dans la raquette ». Un an après, les effets d’aubaine apparaissent moindres que ce qui aurait pu être anticipé avec des dispositifs aussi ouverts. Peu d’entreprises ont demandé toutes les aides auxquelles elles avaient droit ; celles qui n’ont recouru à aucune aide l’ont majoritairement fait par choix, en particulier car elles ont été peu affectées par la crise ; les aides ont été nettement plus importantes pour les entreprises les plus affectées par la crise, particulièrement durant la deuxième vague. Pour autant, les effets d’aubaine sont réels : des entreprises ayant un chiffre d’affaires en hausse durant la crise ont notamment bénéficié d’aides (hors fonds de solidarité) et, dans certains cas, la baisse de l’excédent brut d’exploitation a été surcompensée.
Pour autant, le comité souhaite souligner plusieurs points d’attention
D’abord, à court terme, l’incertitude reste grande et des restrictions sanitaires nationales et internationales subsisteront et affecteront l’activité économique et potentiellement l’emploi. Dans ce contexte, les dispositifs, qui ont évolué pour devenir plus incitatifs dans la phase de rebond de l’activité, devront rester réactifs, en complément de la montée en charge de l’activité partielle de longue durée. Nos partenaires européens, à l’exception du Royaume-Uni, ne semblaient d’ailleurs pas – en juin 2021 – avoir de calendrier de sortie de leurs dispositifs de soutien aussi avancé que le nôtre.
Ensuite, même si les premières données sur l’impact de la crise sur la situation financière des entreprises sont rassurantes, il n’en reste pas moins qu’une petite minorité est à surveiller à court terme, notamment parmi les très petites entreprises, avec des risques d’illiquidité ou d’insolvabilité qui pourront nécessiter dans certains cas des traitements individuels appropriés pour préserver l’activité, l’emploi et les compétences. En outre, la situation financière des entreprises avant crise, globalement moins favorable que dans la plupart des pays européens (marges faibles, endettement élevé), subsiste et pourrait peser sur leur développement et leur capacité à soutenir la reprise. Les mesures d’urgence ont « gelé » cette situation et le plan de relance, notamment dans son volet « renforcement des fonds propres », sera clef.
Enfin, la dette publique française, déjà élevée, aura augmenté de près de 20 points de PIB en deux ans. Certes, seules les subventions ont un coût direct pour les finances publiques, et elles ne représentent qu’une faible part de cette hausse (probablement 4 points de PIB d’ici la fin de l’année), mais la divergence accrue des situations d’endettement public au sein de la zone euro, en particulier entre la France et l’Allemagne, est un sujet d’attention à moyen terme.
De manière générale, le passif accumulé par les entités publiques et privées sera apuré d’autant plus facilement que la France renouera durablement avec une croissance économique soutenue. C’est l’un des objectifs[4] du plan de relance en cours de déploiement, qui sera évalué par le comité au titre de ses nouvelles attributions.
En partenariat avec :
[1] Le comité a pris connaissance des dispositifs mis en place par les administrations pour lutter contre la fraude, mais n’a pas mené d’investigations à ce sujet.
[2] Le rapport porte sur les dispositifs de droit commun et ne s’est pas intéressé aux conditionnalités spécifiques qui ont pu être négociées pour certaines grandes entreprises.
[3] C’est-à-dire le fait que des entreprises ont bénéficié d’aides alors qu’elles n’en avaient pas besoin, ce qui est distinct du sujet de la fraude.
[4] Avec les objectifs environnementaux et de cohésion sociale et territoriale.