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Rapport
Publié le
Vendredi 07 Juillet 2017
La politique d’exonérations générales de cotisations sociales patronales sur les bas salaires est une politique majeure de soutien aux entreprises et à l’emploi non qualifié en France. Le Comité de suivi et d’évaluation des aides publiques aux entreprises et des engagements a choisi de lui consacrer son premier rapport pour en dresser un bilan sur l’emploi, les salaires et la structure productive. Il préconise également la réalisation de plusieurs travaux pour compléter le diagnostic sur l’efficacité de cette politique.
Les exonérations générales de cotisations

Télécharger le rapport 2017 du COSAPE - Les exonérations générales de cotisations

Le Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements (COSAPE) a choisi de consacrer son premier rapport aux exonérations générales de cotisations sociales patronales sur les bas salaires, compte tenu de la place prépondérante qu’elles occupent aujourd’hui au sein de l’ensemble des mesures visant à soutenir l’appareil productif français.

Mise en œuvre depuis vingt-cinq ans, cette politique s’est amplifiée par vagues successives jusqu’à atteindre un coût direct[1] de l’ordre de 25 milliards d’euros pour les finances publiques[2]. La première vague date de 1993 : elle fut décidée avec l’objectif de faire reculer le niveau élevé du chômage de la main-d’œuvre peu qualifiée en abaissant le coût du travail au voisinage du Smic sans pour autant diminuer la rémunération nette des salariés concernés.

Cette première étape d’exonération, dite « offensive », fut suivie d’autres, dites « défensives ». Lors d’une deuxième vague, il s’est agi de contenir la hausse du coût du travail en bas de l’échelle salariale dans un contexte où la politique de réduction du temps de travail devait se faire en maintenant, au niveau du Smic, les rémunérations nettes mensuelles. Puis, lors d’une troisième vague, le dispositif d’exonérations fut étendu et harmonisé pour contenir l’effet du processus de convergence vers le haut du Smic mensuel et des diverses garanties mensuelles de rémunération applicables selon le moment où l’entreprise était passée aux 35 heures.

Enfin, le Pacte de responsabilité et de solidarité a encore amplifié ces exonérations. Au total, les cotisations sociales patronales qui financent les régimes de sécurité sociale sont désormais nulles au niveau du Smic.

Le contexte qui prévalait lors de la mise en place de cette politique d’exonérations a évolué en partie. D’une part, le niveau de qualification de la population active a progressé, mais le nombre de jeunes sortants du système scolaire sans diplôme reste important, alimentant un chômage des non-qualifiés qui demeure élevé. D’autre part, en comparaison internationale, la France se situe aujourd’hui dans le groupe de pays (avec l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique ou encore l’Australie) où le coût du travail au niveau du salaire minimum est le plus élevé. Pour autant, le coût du travail au Smic en proportion du salaire médian en France, qui était proche de ses sommets à près de 60 % au début des années 1990, est revenu à peine au-dessus de 50 %, soit un niveau que l’on ne connaissait plus depuis la fin des années 1960.

En outre, l’existence d’un déficit français d’emplois peu qualifiés dans certains secteurs, comme le commerce ou l’hôtellerie-restauration, par rapport aux pays européens les plus performants en matière de taux d’emploi, mise en évidence dans nombre d’études par le passé, mérite aujourd’hui d’être relativisée lorsque l’on raisonne en volume de travail, c’est-à-dire lorsque la comparaison tient compte du nombre moyen d’heures de travail effectuées par les personnes concernées.

Enfin, la compétitivité de la France s’est dégradée tout au long de la décennie 2000, comme l’attestent la perte de parts de marché et la dégradation de la balance courante, en particulier sous l’effet d’une évolution des coûts salariaux unitaires plus dynamique que chez ses principaux concurrents, au premier rang desquels l’Allemagne. Sur la période la plus récente, une partie du déficit de compétitivité de la France s’est résorbé, du fait d’un redémarrage des salaires en Allemagne, mais aussi de l’instauration du CICE en 2013, puis de la mise en œuvre du Pacte de responsabilité en 2015. Mais une partie de ce déficit demeure, si bien que par rapport à la situation d’il y a vingt-cinq ans, des interrogations plus larges se font jour quant à la compétitivité-coût de la France sur une échelle salariale plus étendue, et surtout quant à sa compétitivité hors coût, c’est-à-dire son positionnement de gamme sur le marché des biens et services échangeables. Ces interrogations se doublent de nouvelles questions sur les effets que pourrait induire la digitalisation de l’économie sur les différents types d’emploi : un phénomène de « polarisation » pourrait être à l’œuvre, favorisant tant les emplois très qualifiés que certains emplois non qualifiés, au détriment des emplois intermédiaires.

La politique générale et massive de réduction de cotisations sociales sur les bas salaires mise en place en France n’a que peu ou pas d’équivalent à l’étranger. En raison du modèle social qu’elle a construit, la France se caractérise par un niveau de dépenses publiques de protection sociale particulièrement élevé, le plus élevé en part de PIB au sein de l’Union européenne. Seule la Belgique dispose depuis les années 1990 d’une politique d’exonérations de cotisations sociales quelque peu comparable, tandis que les Pays-Bas ont expérimenté un dispositif similaire jusqu’au début des années 2000. Au modèle adopté par la France, caractérisé par un salaire minimum légal uniforme et élevé, combiné à des allégements de cotisations sociales ciblés sur les bas salaires visant à en réduire le coût pour l’employeur, d’autres pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni ont jusqu’à une époque récente privilégié un niveau de salaire minimum plus faible pour favoriser l’emploi non qualifié, couplé à des dispositifs de soutien au revenu (de type crédits d’impôt).

La littérature académique internationale montre que le dispositif belge a créé ou sauvegardé des emplois. En revanche, dans les pays qui ont adopté des dispositifs d’exonération ciblés sur certains publics (jeunes, seniors, chômeurs de longue durée) ou sur certains territoires connaissant des taux de chômage élevés, la plupart des évaluations concluent à un effet faible, voire nul, sur l’emploi.

En France, les travaux d’évaluation de la politique d’exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires ont surtout cherché à mesurer son effet sur le volume de l’emploi. Ils aboutissent globalement à conclure que la première vague d’allégements (de 1993 à 1997) a permis de créer ou sauvegarder de l’ordre de 300 000 emplois et la deuxième vague (de 1998 à 2002) environ 350 000 emplois. Les effets de la troisième vague (de 2003 à 2005), eux, seraient quasi nuls. Cependant, il faut souligner que, pour ce qui concerne la deuxième et la troisième vague, les effets de ces exonérations ne peuvent pas être évalués indépendamment de la baisse du temps de travail et de la convergence vers le haut des différentes garanties mensuelles de rémunération qui les ont accompagnées. Par ailleurs, on ne dispose à ce jour d’aucune évaluation des effets sur l’emploi de cette politique sur l’ensemble des vingt-cinq dernières années. Enfin, on sait peu de choses sur la nature des emplois créés ou sauvegardés (par sexe, âge, diplôme, catégorie socioprofessionnelle, expérience) et sur leur ventilation par secteur d’activité ou taille d’entreprise.

Les évaluations des effets de cette politique sur les salaires sont moins nombreuses. Or la façon dont l’évolution des cotisations, donc des exonérations de cotisations, se répercute sur l’évolution des salaires est un enjeu central si l’on veut capter leurs effets sur l’emploi, en particulier à moyen et long termes.

Cette politique, en particulier son amplification dans la durée, a pu jouer sur la dynamique du Smic et plus généralement des bas salaires, en facilitant des évolutions plus favorables, du fait qu’elle freinait dans le même temps leurs effets sur le coût du travail. Elle a pu ainsi contribuer au resserrement de la distribution des salaires nets et bruts. De fait, la proportion de salariés rémunérés au Smic a beaucoup progressé tout au long des trois vagues d’allégements, et, même si elle a reflué depuis, elle se situe aujourd’hui deux points plus haut qu’il y a vingt-cinq ans. Ce resserrement de la distribution salariale, que l’on observe en France sur longue période, apparaît atypique au regard des autres pays développés. Dans le même temps, la distribution des coûts du travail, elle, s’est bien élargie en France à l’instar de ce que l’on observe ailleurs.

Pour autant, il n’existe pas d’études visant à établir et à chiffrer l’effet de la montée en charge des exonérations de cotisations sociales patronales sur l’ensemble de la distribution salariale et sa dynamique. Les quelques études disponibles se consacrent à une question plus spécifique, celle de savoir si la dégressivité des allégements incite les employeurs à contenir certaines augmentations en bas de l’échelle salariale pour continuer à bénéficier à plein des allégements, et conduit ainsi à ce que certains salariés se trouvent durablement rémunérés au voisinage du Smic. Ces études concluent plutôt par la négative, c’est-à-dire à l’absence de « trappe à bas salaire », sans épuiser totalement le sujet.

Enfin, les conséquences à moyen et long termes des allégements de cotisations sociales patronales sur l’appareil productif sont largement inconnues. On ne dispose d’aucune étude sur leurs effets sur la formation (initiale et continue), les investissements (physiques et en recherche et développement), l’innovation, la montée en gamme de l’économie française et la croissance potentielle.

Travaux futurs

Au final, le COSAPE appelle à la réalisation de travaux complémentaires, visant à :

  • évaluer les effets de long terme (de 1993 à aujourd’hui) de la politique d’exonérations de cotisations sociales sur l’emploi et caractériser les emplois créés ou sauvegardés grâce aux allégements, selon différentes dimensions (sexe, diplôme, âge, expérience, secteur d’activité, taille d’entreprise) ;
  • évaluer spécifiquement les effets des dernières mesures du Pacte de responsa­bilité ayant annulé les cotisations sociales patronales au niveau du Smic ;
  • comparer l’efficacité des exonérations générales de cotisations patronales avec des dispositifs alternatifs de type crédit d’impôt ;
  • examiner ce faisant l’efficacité marginale en termes d’emploi de ce renforcement continu des exonérations au cours du temps, afin de savoir si leur rendement est ou non décroissant ;
  • évaluer sur longue période les incidences des allégements sur les salaires, selon le niveau de salaire et de qualifications pour les salariés en poste comme pour les nouveaux embauchés ;
  • examiner la façon dont les exonérations de cotisations sociales patronales sont prises en compte dans la négociation collective, en particulier sur les salaires et les politiques salariales des entreprises ;
  • étudier les interactions entre les évolutions du Smic et les allégements de cotisations sociales ;
  • évaluer les conséquences des allégements sur la structure de l’appareil productif (efforts de montée en gamme, évolution des marges des entreprises, performance à l’exportation), la formation des salariés, les investissements, l’innovation et la croissance potentielle.

Ces pistes d’études, nombreuses et ambitieuses, devront être priorisées en fonction de leur intérêt et de leur faisabilité.


[1] Le coût direct désigne la perte de recettes fiscales ou sociales résultant de l’application d’exonérations ou de taux de cotisations dérogatoires, par rapport au taux jugé normal ou taux plein. Cette estimation ne tient pas compte du fait que si l’exonération se traduit par un gain en emploi ou en compétitivité de l’économie française, cela réduit d’autres dépenses publiques (traitement du chômage) ou génère d’autres rentrées fiscales. À l’inverse, le mode de financement de ces exonérations (baisse d’autres dépenses publiques ou hausse d’autres prélèvements) et ses conséquences ne sont également pas pris en considération.

[2] Les réductions générales de cotisations patronales sur les bas salaires s’élevaient à 21 milliards d’euros en 2015. En y ajoutant les baisses de taux de cotisations d’allocations familiales décidées dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité, les allégements généraux de coût du travail jusqu’à 1,6 Smic atteignaient 25 milliards d’euros en 2015.

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Auteurs

Amandine Brun-Schamme
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