C’est un fait, les discriminations sur le marché du travail ont un coût social. Manquement à l’égalité, elles entament la confiance dans le pacte républicain. Moins perceptible peut-être mais tout aussi indéniable, elles ont aussi un coût économique. Sur-chômage, perte d’activité, mauvaise allocation de la main-d’œuvre, gâchis de qualifications et de potentiels individuels, … les pertes liées aux discriminations dans l’emploi sont plutôt bien identifiées. Reste à chiffrer le manque à gagner.
De quelles discriminations parle-t-on ?
Sur le plan juridique, la discrimination en emploi décrit le fait d’opérer (intentionnellement ou non) « une distinction » entre des personnes sur la base de critères « non objectivement justifiés par un but légitime ». Une pratique « susceptible d’entraîner un désavantage particulier » pour la personne traitée « de manière moins favorable ». Concrètement, la loi française prohibe vingt-et-un motifs de discriminations. Parmi ceux-là, deux sont retenus dans ce rapport pour mesurer les gains économiques attendus d’une réduction des discriminations : le sexe et l’origine géographique. Et trois autres complètent l’analyse descriptive : le handicap, l’orientation sexuelle et le lieu de résidence. Un choix essentiellement motivé par des contraintes de données.
Pour évaluer l’ampleur des discriminations, l’approche retenue consiste à mesurer statistiquement les écarts de situation en emploi qui ne sont justifiés par aucune variable objective (formation, expérience, ou origine sociale), écarts (qualifiés « d’inexpliqués ») qui sont observés entre les groupes « à risque » et le reste de la population. Ce type d’évaluation indirecte des discriminations a l’avantage de délivrer une analyse plus précise et plus extrapolable - que le testing ou l’enquête d’opinion par exemple.
Être une femme reste le premier facteur d’inégalité
Résultat ? Les écarts inexpliqués sont particulièrement marqués pour les femmes. Avec des taux d’activité inférieurs de dix points à ceux des hommes, des temps partiels supérieurs de vingt points, la probabilité la plus faible d’accéder aux 10 % des salaires les plus élevés et un écart de salaire inexpliqué de l’ordre de 12 %, les femmes continuent d’être les premières victimes des inégalités sur le marché du travail. Constat inerte ? Pas exactement. Si les écarts de salaires restent notables, les inégalités d’accès à l’emploi entre hommes et femmes se sont en revanche réduites depuis 1990 et le sur-chômage féminin a quasiment disparu.
Être une femme reste donc le premier facteur de discrimination en emploi en France mais il est suivi de près par l’ascendance migratoire. Toutes choses égales par ailleurs, les hommes descendants d’immigrés africains ont une probabilité d’être au chômage supérieure de sept points aux hommes sans ascendance migratoire. Pour comparaison, ce chiffre est de trois pour les natifs des DOM. Quant à leurs chances d’accéder à un CDI à temps plein, elles sont au niveau… de celles des femmes. Comparé au sexe et à l’origine migratoire, le lieu de résidence n’apparaît pas en revanche comme un facteur explicatif massif d’inégalité d’emploi.
Un manque à gagner de l’ordre de 3% à 14% du PIB
Que gagnerait la société dans son ensemble si le recrutement des chefs d’entreprise était élargi aux femmes, si les talents étaient reconnus dans toute leur diversité et tous les hauts potentiels pleinement employés ? C’est pour apporter une réponse (chiffrée) à cette question que le rapport estime finalement le gain attendu d’une réduction des écarts inexpliqués, écarts qui sont donc considérés ici comme autant de réserves de croissance inutilisées.
Comment ? En simulant les effets d’un alignement de la situation en emploi des personnes discriminées – taux d’emploi, niveaux de salaires, temps de travail et proportion de bacheliers– sur la situation moyenne observée dans le reste de la population de même classe d’âge (chiffrage prudent, donc). Ces effets sont estimés sur la base de quatre scénarios qui vont chacun, un peu plus loin, dans la prise en compte des effets (cumulés) d’une réduction des discriminations. Le premier scenario mesure l’effet sur les salaires d’une réduction des écarts d’accès à l’emploi qualifié. Les deux suivants y ajoutent les effets d’une convergence des taux d’emploi puis des durées de travail. Enfin le dernier évalue l’effet additionnel d’un alignement des niveaux d’éducation (taux de bacheliers). Sur ce nuancier, le scenario 2 mesure schématiquement les effets sur l’économie de la discrimination au sens strict (juridique), tandis que le scénario 4 serait plutôt celui (lato sensu) de l’égalité des chances.
Les chiffres sont éloquents ! La convergence des taux d’emploi (introduite dans le scenario 2) se traduirait par une augmentation de 3 % de la population en emploi, soit 608 000 postes supplémentaires, à 93 % féminins. En y ajoutant l’effet convergence des temps de travail (scénario 3) l’augmentation estimée monte à 4,5 %, soit 974 000 emplois à temps plein. Les gains en termes de valeur ajoutée sont massifs : ils s’échelonnent de +3,6 % du PIB dans le premier scenario à +14,1 % dans le scénario 4 d’égalité des chances. Le scenario médian de convergence des seuls taux d’emploi et d’accès aux postes élevés, rapporterait 7% du PIB, soit environ 150 milliards d’euros. Des gains économiques auxquels les femmes contribueraient en l’occurrence à hauteur de 97 % !
Quel que soit le scenario retenu, la réduction des discriminations représente une vraie réserve de croissance. Un plan de lutte national aurait ainsi le mérite de faire converger justice sociale et bénéfice économique.
Céline Mareuge