Télécharger la note d'analyse Nés sous la même étoile ? Origine sociale et niveau de vie
Déterminisme social. Alors qu’elle figure parmi les pays les moins inégalitaires en termes de revenus (après redistribution), la France accuse paradoxalement un niveau élevé d’inégalité des chances. On savait l’ascenseur social en panne. L’OCDE vient du reste de nous le rappeler en chiffrant à six le nombre de générations nécessaires en France pour que les enfants de familles modestes atteignent le revenu moyen. Ce qu’on savait moins en revanche, c’est dans quelle mesure et comment l’origine sociale d’une personne détermine son niveau de vie. Cette étude inédite de Clément Dherbécourt comble la lacune. Elle apporte non seulement une mesure du déterminisme social mais montre également que l’inégalité des chances en France est d’abord une inégalité des chances éducatives.
Quantifier le déterminisme social
Faute de données, peu d’études ont été menées jusqu’ici pour quantifier l’influence de l’origine sociale sur le niveau de vie des individus. Récemment enrichie, la statistique publique rend désormais l’exercice possible sur la base d’un échantillon d’environ 80 000 individus âgés de 27 à 44 ans – l’Échantillon démographique permanent de l’Insee – pour lesquels sont renseignés le niveau de diplôme, la profession du père, les revenus déclarés au fisc, et les prestations familiales et les aides sociales versées par la branche famille. L’aspect inédit de l’étude tient au fait qu’elle ne raisonne pas en termes de revenus individuels mais de « niveaux de vie », c'est-à-dire qu’elle tient compte de la composition du ménage (enfants ou pas) et des revenus du conjoint.
« Les résultats surprennent moins par le constat lui-même que par son ampleur », observe l’auteur. Mesurée sur la période 2011-2014, l’inégalité de niveau de vie selon l’origine sociale est particulièrement marquée aux deux extrémités de l’échelle des revenus. Prenons les enfants d’ouvriers par exemple. Sur la totalité de l’échantillon, ils sont 4 sur 10. Une proportion qui grimpe à 6 sur 10 parmi les 10 % (ayant les niveaux de vie) les plus modestes mais tombe à 1 sur 6 parmi les 10 % les plus aisés et même 1 sur 10 dans le top 1 % ! Symétriquement, la moitié des individus qui composent ce « sommet de la distribution » sont des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures.
Hormis pour les enfants de la classe moyenne qui ont des chances d’accès comparables au haut et au bas de l’échelle des revenus, « les écarts sont encore plus marqués lorsqu’on entre dans le détail des professions », analyse Clément Dherbécourt. Un individu dont le père est médecin ou avocat a 50 % de chances de faire partie des 20 % les plus aisés, celui dont le père est professeur 40 % mais pour un enfant d’auxiliaire de vie ou d’employé de ménage, la probabilité chute à 12 %.
Quoique moins marqué, le constat d’inégalité vaut aussi pour le risque d’appartenir à un ménage pauvre, à savoir un ménage dont les revenus sont inférieurs à 60 % du niveau de vie médian de la population. Chiffré à 8 % pour l’ensemble des individus de l’échantillon, il n’est que de 4 % pour les enfants de cadres mais de 16 % pour les enfants d’ouvriers non qualifiés.
Le diplôme : courroie de transmission des inégalités
Le constat posé, reste à mesurer l’amplitude de cet « effet origine sociale », en le mettant notamment en concurrence avec d’autres effets potentiellement discriminants, et surtout à expliquer comment l’origine sociale détermine les niveaux de vie.
Étape un : comparer l’influence de l’origine sociale à celle d’autres marqueurs « biographiques », en l’espèce l’ascendance migratoire, le sexe et l’âge des individus. Bilan : l’origine sociale reste bien le facteur le plus déterminant. Pour preuve : à sexe, âge et origine migratoire identiques, l’écart moyen de niveau de vie entre un enfant de cadre et un enfant d’ouvrier non qualifié s’élève à 1 000 euros par mois. En comparaison, ce même écart n’atteint « que » 150 euros quand il est mesuré entre une personne sans ascendance migratoire et une personne descendant d’immigré d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb, à origine sociale, sexe et âge identiques. Un écart édifiant.
Étape deux : expliquer. Structure de la famille, choix du conjoint, niveau de diplôme… par quel canal passe l’influence de l’origine sociale pour impacter le niveau de vie ? Selon les estimations de Clément Dherbécourt, « elle transite pour moitié par l’influence qu’elle exerce sur le niveau de diplôme obtenu par l’individu » et pour un petit quart par un phénomène d’homogamie sociale : on tend à prendre pour conjoint une personne qui appartient à la même catégorie sociale que soi, de telle sorte qu’à diplôme égal, les individus moins favorisés ont des conjoints moins diplômés. Il y a là « un double effet diplôme », nous confie l’auteur, l’inégalité des chances éducatives impacte le niveau de revenu de la personne et celui de son conjoint.
Reste un écart inexpliqué de niveau de vie entre enfants de cadre supérieur et d’ouvrier, à hauteur d’un quart, que Clément Dherbécourt appelle « l’ultime effet résiduel » de l’origine sociale. Signe que d’autres courroies de transmission existent vraisemblablement : patrimoine hérité, influence du réseau social, orientation différenciée et choix de filières inégalement valorisées sur le marché du travail, accès aux grandes écoles notamment…
Des hypothèses subsidiaires qui n’enlèvent rien à l’enseignement majeur de cette étude : si les chances d’accès d’un individu à un niveau de vie élevé sont bien fonction de son origine sociale, ce déterminisme social s’explique d’abord par une inégalité des chances éducatives.
Céline Mareuge, journaliste web
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