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En France, le marché du travail ralentit fortement en 2024 après avoir été très dynamique les trois années qui ont suivi la crise sanitaire du Covid-19. Entre fin 2020 et fin 2022, près de 1,4 million d’emplois ont été créés. Mais dès 2023 le rythme de l’emploi commence à ralentir avec au final +255 000 nouveaux postes créés, contre +390 000 l’année précédente. En 2024 le freinage se poursuit, et l’emploi est à l’arrêt au troisième trimestre de l’année. Le taux d’emploi atteint cependant son plus haut niveau depuis que l’Insee le mesure, à 69,1 %. Le taux de chômage, quant à lui, résiste bien pour l’instant à 7,4 %, proche de son plus bas niveau depuis quarante ans.
Ce net ralentissement de l’emploi s’accompagne de la fin de l’épisode inflationniste. Après le pic de février 2023 (+6,3 %), l’inflation est en net reflux et atteint seulement 1,2 % en octobre 2024 (sur un an). Si en 2023 la désinflation s’explique principalement par la normalisation des prix de l’énergie, en partie compensée par l’inflation alimentaire, en 2024 l’évolution des prix de l’alimentation et des biens se normalise, et ce sont principalement les prix de services qui contribuent à l’inflation, en lien avec la transmission aux salaires des hausses de prix passées. Toutefois, les prix des services ralentissent au cours de l’année 2024.
Dans ce contexte, le Smic ralentit lui aussi en 2024, alors qu’il avait connu une croissance plus forte que l’évolution des principaux indices de salaire en 2022 et 2023. Ainsi, au deuxième trimestre 2024, sa hausse était de 1,1 % sur un an, contre 2,8 % pour le salaire moyen par tête dans le secteur marchand (qui comprend les primes), et 2,9 % pour le salaire mensuel de base (hors primes). En comparaison, au deuxième trimestre 2023, le Smic avait augmenté de 6,2 % sur un an, contre 4,6 % pour le salaire moyen par tête et 4,6 % pour le salaire mensuel de base.
Évolutions du Smic, des salaires, de l’inflation et du pouvoir d’achat
(indice 100 au 2e trimestre 2008)
Sources : Insee, Comptes nationaux, Dares, Acemo
Depuis la fin de l’année 2020, le Smic a augmenté de 17 % à la faveur de neuf revalorisations, dont quatre revalorisations au 1er janvier auxquelles s’ajoutent quatre revalorisations anticipées en cours d’année en raison de la forte inflation (1er octobre 2021, 1er mai et 1er août 2022, puis 1er mai 2023), et une revalorisation discrétionnaire du Gouvernement (le 1er novembre 2024, anticipant la revalorisation du 1er janvier 2025). Entre fin 2020 et fin 2024, les prix ont progressé de 15 %.
Ces nombreux ajustements du Smic ont contribué à resserrer l’éventail des salaires. En effet, le rythme des augmentations a largement pris de court celui des négociations salariales des entreprises et des branches professionnelles durant cette période, augmentant la part de salariés concernés par la revalorisation du Smic du 1er janvier en 2022 et 2023. En 2024, la diffusion progressive de la hausse du Smic au reste des salaires a permis la diminution de cette part, qui revient au 1er janvier 2024 à 14,6 % après un pic historique en 2023 à 17,3 %.
Toutefois, le choc inflationniste apparu fin 2021 avait principalement pour origine une hausse des prix importés, notamment ceux de l’énergie, et ce choc a agi comme un prélèvement extérieur sur le revenu national à répartir entre les entreprises et les ménages. Si les revalorisations successives du Smic ont protégé efficacement le pouvoir d’achat des salariés faiblement rémunérés, le décrochage des autres salaires vis-à-vis de l’inflation est plus marqué, notamment en haut de la distribution : entre 2022 et 2023, le salaire net des cadres a diminué de 2,8 % en euros constants (hors primes) alors que la baisse était déjà de 1,2 % entre 2021 et 2022. Le recul du pouvoir d’achat est plus contenu pour les ouvriers et les employés. En 2024, les revalorisations de salaires se situent désormais au-dessus des évolutions du Smic et de l’inflation, ce qui permet de rattraper une partie des pertes de pouvoir d’achat et contribue à la décompression de l’échelle des salaires.
Hausses moyennes (en %) des salaires négociés dans les accords de salaire
au niveau des branches et des entreprises
Source : Légifrance – accords d’entreprise et de branche (calculs auteurs, mise à jour de Baudry et al., 2024[1]), Insee pour IPC (moyenne du glissement annuel) et Smic (glissement annuel moyen par trimestre). Dernier point : 3e trimestre 2024.
La revalorisation anticipée au 1er novembre 2024 pourrait cependant ralentir cette décompression de l’échelle des salaires en faisant repasser 93 branches sous le Smic pour leur premier niveau de minimum conventionnel. Les hausses infra-annuelles du Smic augmentent considérablement le nombre de branches pour lesquelles des minima salariaux deviennent inférieurs au Smic. Cette anticipation intervient, en outre, à contre-courant de l’inflation, prenant de court les négociations de branche et d’entreprises au moment même où ces dernières retrouvaient un rythme annuel et un niveau proche de la moyenne d’avant la crise inflationniste. Elle va à l’encontre des principales préconisations du Groupe d’experts ces dernières années qui recommande une meilleure visibilité sur les augmentations sur Smic et un effort de coordination avec les négociations de branche.
Salaire minimum en proportion du salaire médian,
pour un salarié à temps plein en 2022 et en 2023
Source : OCDE.
Recommandations
Pour rappel, la hausse automatique annuelle du Smic qui a lieu au 1er janvier est égale à la progression de l’indice des prix à la consommation hors tabac du 1er quintile des ménages (IPCHTQ1) à laquelle s’ajoute la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE). Ce gain, sur un an, était de 1,9 % au troisième trimestre 2024 (estimation provisoire). Si l’on retient pour l’inflation, sur un an, le chiffre de 1 % en octobre 2024 (qui est le dernier chiffre connu à ce jour) la revalorisation automatique du Smic serait de 1,95 % au 1er janvier 2025. Or, le Gouvernement a décidé une hausse – qu’il a qualifiée d’anticipée – de 2 % au 1er novembre 2024, soit un peu plus que l’estimation de 1,95 %. Si ces chiffres provisoires sont confirmés, il n’y aura pas de revalorisation supplémentaire au 1er janvier 2025.
Si l’inflation observée en novembre 2024 était supérieure au chiffre d’octobre 2024 dans des proportions suffisantes pour tirer la revalorisation automatique au-delà de 2 %, le Smic enregistrerait alors mécaniquement une hausse résiduelle à hauteur de cet écart entre les 2 % déjà appliqués fin 2024 et la hausse prévue par la formule.
Dans tous les cas, pour la première fois depuis janvier 2021 non seulement le Smic sera revalorisé à hauteur de l’inflation, mais il verra aussi son pouvoir d’achat augmenter, en raison de la double indexation prévue par la formule de revalorisation. Depuis fin 2020, le Smic a augmenté de 17 % alors que l’inflation sur la même période a progressé d’un peu moins de 15 %, protégeant ainsi le pouvoir d’achat des salariés concernés. Dans ces conditions, au-delà de la revalorisation automatique prévue par la loi, le Groupe d’experts recommande de s’abstenir de tout coup de pouce sur le Smic au 1er janvier 2025 pour trois principales raisons :
- La situation structurelle de l’économie française, qui s’améliorait mais demeurait encore fragile avant la crise de la Covid-19, reste caractérisée par un chômage encore élevé, même s’il est le plus bas depuis quarante ans, et un solde commercial (biens et services) continûment négatif depuis 2006 en raison d’une faible compétitivité. Actuellement, la France a le quatrième taux de chômage le plus élevé de la zone euro, derrière l’Espagne, la Grèce et la Finlande.
- Par ailleurs, une hausse du Smic au-delà des mécanismes de revalorisation automatique risquerait d’être préjudiciable à l’emploi des personnes les plus vulnérables, notamment les moins qualifiées qui, si elles ont largement bénéficié de la baisse du chômage depuis le milieu des années 2010, constituent encore aujourd’hui la très grande majorité des chômeurs. Une telle hausse du Smic ne pourrait plus être compensée, par ailleurs, par une baisse des cotisations sociales employeurs qui ont déjà atteint le seuil minimal au niveau du Smic. Cette vulnérabilité est d’autant plus forte qu’on s’attend à une dégradation de la situation économique en 2025. Une étude réalisée à la demande du Groupe d’experts, et publiée dans le rapport de 2022, a identifié des effets négatifs sur l’emploi d’une hausse du Smic en France. Cette dernière considération est renforcée par le constat, rappelé plus haut et montré dans les précédents rapports du Groupe d’experts, qu’il ne faut pas attendre beaucoup du salaire minimum pour réduire la pauvreté laborieuse. Les deux principaux facteurs de la pauvreté laborieuse sont le nombre d’heures travaillées et la configuration familiale, bien avant le niveau du salaire horaire et donc du Smic. La lutte contre la pauvreté laborieuse devrait privilégier la lutte contre les situations de temps partiel contraint et l'enchaînement de contrats courts subis.
- Enfin, dans le contexte actuel, tout coup de pouce accentuerait la compression de l’échelle des salaires, au moment même où celle-ci commence à se détendre. Cette compression des salaires, typique de l’économie française, est déjà forte et depuis longtemps en comparaison de nos voisins. Elle s’explique principalement par la dynamique du Smic sur les vingt dernières années, qui s’est particulièrement renforcée durant l’épisode inflationniste par le jeu des mécanismes d’indexation automatique très spécifiques à la France et largement déconnectés du reste des salaires.
Les précédents rapports du Groupe d’experts ont également souligné qu’une voie à privilégier pour encourager l’augmentation des revenus des travailleurs à bas salaires est celle de la mobilité salariale et professionnelle. Idéalement, l’emploi au Smic doit constituer un point de départ dans la carrière, non un point d’arrivée. Comme nous le montrons dans ce rapport, cette mobilité existe et n’est pas significativement moins forte en France que dans les autres pays étudiés. Les salariés au Smic ont en effet une probabilité plus forte que les autres salariés de connaître une mobilité salariale positive, ce qui n‘est pas étonnant quand on sait que de nombreux jeunes commencent leur carrière à ce niveau de salaire. Ainsi en France, comme dans chez nos voisins (Allemagne, Danemark, Pays-Bas et Portugal), les salariés initialement rémunérés à 60 % du salaire médian (niveau proche du Smic) connaissent une progression salariale d’une année sur l’autre – mesurée par rapport à celle des salariés gagnant plus que le salaire médian – de l’ordre de 6 %, contre 2 % pour ceux situés à 80 % du salaire médian. Cette moyenne ne doit cependant pas masquer les obstacles importants rencontrés par les salariés peu qualifiés dans certains secteurs et particulièrement au sein des très petites entreprises.
Il est possible d’améliorer encore les incitations à la mobilité salariale. En particulier, les gains nets tirés de cette mobilité peuvent être limités non seulement par la compression salariale, mais aussi par le système d’impôts, taxes et prestations qui, voulant protéger à la fois l’emploi et les revenus des salariés peu qualifiés, engendre désormais un fort écart entre le coût des augmentations de salaire pour l’employeur et le gain de revenu disponible pour le salarié. Ainsi, comme démontré dans le rapport d’Antoine Bozio et Étienne Wasmer d’octobre 2024, et comme nous l’illustrons également dans ce rapport en y apportant un éclairage international, des mécanismes pouvant limiter la mobilité salariale existent bel et bien, tant du côté des entreprises que des salariés, et semblent plus marqués en France que chez nos voisins. Par exemple, seul un quart d’un accroissement de salaire brut de 10 %, en partant du niveau du Smic, contribue à la hausse du revenu net d’un couple mono-actif du fait de la baisse de la prime d’activité et de l’entrée dans l’impôt sur le revenu. Pour l’employeur, une telle augmentation de 10 % représente un accroissement du coût du travail très substantiel du fait de la progression rapide des contributions sociales patronales, cette hausse étant 80 % plus élevée que ce qu’on observe chez nos voisins (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni par exemple) lorsqu’on la rapporte au salaire moyen de chaque pays.
Revoir ce système exigerait non seulement de modifier le profil des allégements de cotisations patronales mais également celui de la prime d’activité. Comme rappelé dans ce rapport, les allégements ont un effet avéré sur l’emploi mais leur coût a progressé de plus de 30 % en quatre ans sous l’effet de la dynamique du Smic pour atteindre près de 80 milliards d’euros en 2024. Les supprimer totalement entraînerait, selon nos estimations, la disparition de 1,5 à 2 millions d’emplois, essentiellement peu qualifiés. En revanche, le profil de ces allègements est loin d’être optimal, en particulier parce qu’ils s’éteignent rapidement lorsque le salaire progresse, pour ensuite s’étaler jusqu’à 3,5 fois le Smic sans effet avéré sur l’emploi au-delà de 2 ou 2,5 fois le Smic. Des économies substantielles peuvent être réalisées sans dommage en supprimant les aides au-delà de ce seuil. En revanche, le Groupe d’experts recommande de conserver les allègements actuels au niveau du Smic afin de ne pas alourdir le coût du travail, contrairement à ce qui était envisagé dans la version initiale du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Un tel alourdissement, de l’ordre de 4 points, entraînerait la disparition de 100 000 à 135 000 emplois selon nos estimations, ce scénario étant d’autant plus probable que le marché du travail est à l’arrêt et qu’une faible inflation limitera les possibilités de passer cette hausse du coût dans les prix.
Par ailleurs, certaines recommandations des rapports précédents du groupe restent plus que jamais d’actualité.
Le Groupe d’experts appelle à l’instauration de dispositions adaptées visant à contrebalancer l’incitation actuelle à la non-conformité et à l’affaiblissement du rôle de la négociation collective. L’action publique doit laisser pleinement la responsabilité de la négociation collective à ses acteurs, sans encourager financièrement les comportements non vertueux de non-conformité et de refus de la négociation. Dans son article 7, la loi du 16 août 2022, portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, a introduit dans le Code du travail l’obligation d’engager une négociation salariale dans un délai de 45 jours, au lieu de trois mois précédemment, ainsi que la mise à niveau du premier niveau conventionnel par rapport au Smic comme critère d’appréciation de l’activité de la branche. Ces dispositions sont pertinentes mais plusieurs partenaires sociaux participant à la Conférence sociale du 16 octobre 2023 les ont présentées comme insuffisantes. Le Haut Conseil des rémunérations, de l’emploi et de la productivité (Hcrep), qui vient d’être créé, pourrait travailler à de nouvelles dispositions dans ce domaine.
Le Groupe d’experts souligne que la négociation salariale au niveau des branches et des entreprises peut être percutée par le faible délai de prévenance (deux semaines) entre la décision d’une hausse du Smic et la mise en œuvre de cette hausse. Ce délai apparaît très court, et contribue sans doute aux situations de non-conformité transitoires de certaines branches. À notre connaissance, ce délai est plus court que dans tout autre pays avancé dans lequel existe un salaire minimum national. Il semble souhaitable au Groupe d’experts d’envisager des solutions permettant d’allonger ce délai de prévenance.
Enfin, comme les années précédentes, le Groupe d’experts réaffirme la nécessité d’une réforme ambitieuse des règles de revalorisation automatiques du Smic. L’objectif serait de mieux lier les revalorisations du Smic non seulement au coût de la vie et à la productivité, mais également au niveau, à la distribution et à l’évolution des autres salaires, comme le recommande la Directive européenne sur des salaires minimums adéquats. In fine, l’évolution du Smic ne devrait pas être déconnectée de celle des autres salaires comme on l’a observé au cours des trois dernières années. Dans le contexte d’une réforme de la double indexation du Smic, les propositions du Groupe d’experts présentées en 2023 ou des alternatives permettant de mieux prendre en compte la négociation collective pourraient être débattues dans le cadre des travaux à venir du Hcrep.
Les thématiques abordées dans les rapports
- Salariés concernés : rapports 2009, 2010, 2011, 2012, 2014, 2022 et 2023
- Marché du travail : rapports de 2012 à 2023
- Salaires et niveau de vie : Tous les rapports de 2009 à 2023
- Emploi au salaire minimum : rapports 2010, 2011, 2013 et 2022
- Entreprises concernées : rapport 2015
- Données : rapport 2010
- Formation : rapport 2021
- Covid-19 : rapports 2020 et 2021
- Coût du travail / compétitivité : rapports 2013 et de 2018 à 2023
- Dynamique de l’échelle des salaires : rapports 2010, 2011, 2014, 2015 et de 2016 à 2023
- Trajectoires et carrières : rapports 20210, 2011 2016 et 2018
- Comparaison internationales : rapports de 2016 à 2023
- Aspects réglementaires : rapports 2009, 2012, 2013 et 2019