Télécharger "Politiques de l’autonomie et aménagements du territoire - tome 2 Pistes"
Nous avions établi un état des lieux en février 2021 (Tome I du présent rapport)[1] sur les mobilités résidentielles des personnes âgées, et nous avions identifié le besoin de mieux étayer les exercices de planification/programmation[2] des collectivités locales en matière d’habitat pour répondre aux enjeux du vieillissement. Il s’agissait de comprendre comment passer de l’actuel soutien à divers dispositifs et projets ponctuels à destination des domiciles des personnes âgées à une stratégie d’aménagement du territoire pensant de concert projections démographiques et développement des offres de logement ordinaire, incluant des aménagements de logements sociaux ou privés, le développement des offres de résidences services seniors, résidences autonomie et habitat inclusif, le tout adossé à un panier de services afférents, et ce dans un scénario de rénovation des Ehpad sans création (significative) de places. Ce tournant viserait d’une part à mieux intégrer cette pluralité de « segments » résidentiels aux politiques de revitalisation des territoires portées par des collectivités locales, et d’autre part à mieux intégrer des réflexions de types aménagements du territoire dans les schémas d’autonomie.
Ces éléments ont guidé notre méthode de travail : nous avons d’abord, en mars et en avril, mené des auditions dans quatre départements contrastés, en entendant des acteurs de l’urbanisme côté État central (DDT, ANCT, etc.), des EPCI et des communes de ces départements et les services départementaux porteurs des schémas autonomie[3], avant de tester plusieurs pistes.
Faute de données satisfaisantes, et plus encore de cadres méthodologiques pour les mobiliser, le rapport identifie d’abord des besoins de connaissance pour mieux croiser données sur l’habitat et caractéristiques sociodémographiques des personnes âgées à l’échelle communale et établir des projections de moyen terme. Il étudie les pistes qui visent à traduire ces données en leviers aux mains des collectivités locales qui portent la stratégie habitat-communes des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en premier lieu. Mais nulle politique domiciliaire ne peut voir le jour sans aborder le développement des services à domicile. Il passe à titre principal par une amélioration des rémunérations, des conditions de travail et de la formation (comme s’y attache notamment le rapport El Khomri[4] et l’annonce du plan d’action métiers du grand âge par le ministère des Affaires sociales et de la Santé[5]). Mais on doit aussi s’interroger sur le déploiement des services sur les territoires. Et nous l’ouvrons à partir de cet angle, volontairement restreint dans un premier temps, des connaissances nécessaires et des modalités envisageables pour en faire des appuis à des stratégies de développement local.
On constate qu’aujourd’hui les projections démographiques, qui éclairent les tensions liées au vieillissement et à la perte d’autonomie que les territoires connaîtront, apparaissent comme des éléments descriptifs plus qu’elles n’aident à dimensionner des investissements et une stratégie de localisation. Il est vrai que s’il est relativement aisé de concevoir une programmation de places d’Ehpad le pilotage d’une offre habitat globale adaptée au vieillissement est plus complexe. D’abord, il n’est pas évident de comprendre ce qui peut se piloter à moyen terme dans cette perspective, et comment anticiper sans tomber dans l’illusion d’une maîtrise aveugle aux contingences et aux mutations des modes de vie, ni alimenter une suradministration. Dans ce cadre prudent et encore largement interrogatif, plusieurs points nous semblaient mériter d’être expertisés :
- comment mettre à disposition des collectivités locales des connaissances et des méthodes pour les aider à programmer leur réponse aux besoins de leurs populations vieillissantes ;
- dans cette perspective, déterminer les leviers et freins pour que les programmes actions cœur de ville, petites villes de demain et autres développement territoriaux structurants, se saisissent davantage des enjeux de programmation de l’habitat lié au vieillissement ;
- comment mieux coupler l’implantation de ces solutions et la localisation des services médicosociaux et sanitaires.
Notre travail a permis d’établir 10 propositions articulées sur 3 axes[6]. On les résume ici.
Axe 1. Accompagner les EPCI et communes pour mieux intégrer l’évolution des besoins d’habitats liés au vieillissement dans leur stratégie résidentielle
Au sein du « porter à connaissance » (PAC), des données relatives à l’âge sont souvent présentes, mais elles ne suffisent pas à élaborer une programmation globale des besoins d’habitats pour faire face au vieillissement.
- Proposition 1
Mieux croiser données sur l’habitat et projections démographiques dans le « porter à connaissance » (PAC) : exploiter les remontées APA individuelles et les modèles, de projection à une maille territoriale pertinente, parfois communale. Restituer le diagnostic sous forme de cartographie lisible pour les élus.
- Proposition 2
Mieux suivre les évolutions du parc résidentiel pour les personnes âgées vulnérables dans trois champs : les aménagements de logements sociaux, la rénovation urbaine et l’habitat regroupé.
Pour que ces connaissances soient une aide à la décision pour les collectivités locales, il ne suffit pas d’appréhender le bâti, mais il convient de le relier avec des facteurs clés d’un maintien à domicile, à savoir l’accès à des aménités quotidiennes et à des services d’aide au domicile.
- Proposition 3
Améliorer l’Outil pour la territorialisation de la production de logements (Otelo) et développer un outil de simulation et d’aide à la décision, à destination des EPCI et des communes, permettant de localiser un mix de solutions d’habitat répondant aux besoins des personnes âgées, selon des zonages en services. Une première approche est testée par le Cerema pour le HCFEA[7].
- Proposition 4
Dans la suite des travaux préliminaires menés par le HCFEA et des travaux initiés par la Drees et l’IPP, avec l’appui financier éventuel du fonds territoire de la CNSA, développer des outils d’aide à l’implantation de la gamme de solutions résidentielles favorables aux seniors (RA, RSS, habitat ou quartier inclusif, logements accessibles) dans l’EPCI permettant de comparer les coûts pour les collectivités locales gestionnaires de prise en charge des personnes vulnérables pour des prestations comparables (aide, soins, alimentation, transport etc.) entre les différents de lieux de vie.
- Propositions 5
Étudier l’opportunité de financer[8] des postes de chefs de projets et de soutien à l’ingénierie « habitat adapté au vieillissement », mutualisés entre EPCI d’un département.
En phase avec le projet de loi 3DS[9], le cas échéant, envisager aussi un réseau, animé par le département et/ou l’ANCT, pour faciliter le travail des chefs de projets « vieillissement » en EPCI et des chefs de projets ACV et PVD sur les aspects de vieillissement, coordonner divers acteurs[10] (et faire entendre la parole des retraités), et suivre la montée en charge du maillage global habitat et vieillissement.
Axe 2 : Le rôle des départements pour développer un volet spatial de connaissances des travailleurs du care pour favoriser une offre de services cohérente avec le PLH
- Propositions 6
Développer un suivi des plans APA et de l’offre de services mobilisable dans le département, le cas échéant en lien avec les têtes de réseaux de services à domicile et avec l’appui de l’Acoss pour les particuliers employeurs. Vérifier sa cohérence avec le nombre de bénéficiaires de l’APA à domicile. Le partager avec les porteurs du PLH et apprécier les tensions en emploi d’aides à domicile, si possible à un niveau communal ou d’EPCI.
Les salariés du care se déplacent, parfois beaucoup et loin dans des zones éventuellement difficiles d’accès selon leur lieu d’habitation. Le plan national métier du grand-âge a prévu de favoriser la mobilité des travailleurs du care. Dans une logique d’aménagement du territoire :
- Propositions 7
Compléter le volet « mobilités » du plan national métier du care par une réflexion sur une approche plus volontariste de localisation des travailleurs à proximité de la demande, intégrant des aspects de coûts économiques et d’empreinte carbone, en particulier dans le cadre des opérations de revitalisation des territoires, et le cas échéant des stratégies de décarbonation locale.
Certains pensent que seraient mobilisables des leviers améliorant les conditions de vie, tels que accès favorisé aux crèches, ou les conditions d’exercice professionnel (tiers-lieux), et le développement d’une formation aux métiers des services à domicile spatialement plus ciblée.
Toutefois « localiser » des travailleurs ne signifie pas forcément qu’on recherche un ancrage à la plus petite échelle communale (pertinence du modèle économique). À côté des enjeux nationaux de rémunération, conditions de travail et formation du secteur, la question est celle du partenariat et de la mutualisation/spatialisation entre acteurs, à la bonne échelle territoriale de proximité. Au moment où se structurent des organisations départementales des services à destination des personnes âgées, la sécurisation des remplacements des aidants à domicile pourrait être abordée comme un élément de maillage territorial permettant de stabiliser diverses solutions de maintien à domicile, car facilitant l’organisation du travail des services à domicile.
- Propositions 8
Étudier l’opportunité et la faisabilité de dispositifs facilitant des remplacements mutualisés à l’échelle d’un territoire pour sécuriser un « service minimum »[11] répondant aux situations en tension.
Axe 3 : étudier la mise en place d’aides à la mobilité résidentielle pour compléter le volet de l’aménagement des logements individuels
- Propositions 9
Intégrer ces préoccupations dans l’instruction des demandes d’APA et leur révision périodique[12]. Ainsi qu’à chaque ouverture de dossier pour un aménagement du logement.
- Propositions 10
Étudier la mise en place d’une prestation légale d’aide au déménagement et de de recherche d’habitat adapté dans le bassin de vie d’un bénéficiaire de l’APA envisageant une mobilité résidentielle.
Ces propositions envisagent des outils, de l’appui aux collectivités locales et de l’ingénierie pour faciliter des mises en œuvre opérationnelles permettant i) de donner corps à un volet habitat plus construit des politiques de l’autonomie et ii) d’intégrer plus le secteur du care autonomie dans les politiques d’attractivité du territoire.
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[1] Le document examiné en Conseil de l’âge en février 2021 comportait un état des lieux qui est repris in extenso dans le tome I de ce rapport. S’y ajoutait une partie préfigurant les pistes présentées dans ce tome II.
[2] On renvoie au document Powerpoint de la séance du Conseil de l’âge de février 2021 posant nos champs d’investigations.
[3] Annexe 7 : auditions.
[4] El Khomri M., Plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand-âge 2020-2024, octobre 2019.
[5] En septembre 2020. Voir point d’étape avril 2021.
[6] Dans le rapport les propositions sont décrites plus précisément.
[7] Un projet de zonage sur données administratives a été développé pour le HCFEA en partenariat avec la DHUP par le Cerema. Ce travail fera l’objet d’une publication complémentaire à l’automne 2021.
[8] Le financement de l’ingénierie est d’abord du ressort de l’EPCI. Mais pour de petits EPCI, les moyens manquent parfois, en partie pour les petits EPCI, et des cofinancements peuvent être envisagés (par exemple avec une contribution de l’ANCT).
[9] Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action locale : présenté en Conseil des ministres le 12 mai 2021, actuellement en lecture au Parlement.
[10] Le cas échéant en lien avec le plan départemental de l’habitat (PDH), quand il existe.
[11] Divers schémas ont été évoqués. Il peut s’agir d’une coopération renforcée entre les employeurs (telle qu’est qu’elle se préfigure avec l’appel à projets sur les plateformes départementales et le futur projet de loi), qui couvrirait spécifiquement cet enjeu du remplacement. Certains ont suggéré d’étudier la création d’un vivier départemental d’aidants professionnels qualifiés et « d’astreinte ».
[12] Cela renvoie au problème plus général de l’instruction et de la révision des demandes d’APA, ainsi qu’à l’élargissement de l’APA.