Créé dans le sillage de la grande conférence sociale de juin 2013, le Réseau Emplois Compétences (REC), animé par France Stratégie, se voit confier l’objectif d’augmenter « notre capacité collective d’observation et de prospective… pour mieux anticiper l’évolution des emplois et des besoins en compétences des entreprises ». Ce rapport répond à la commande. Il n’a pas vocation à servir de guide méthodologique mais plutôt à identifier ce qui peut être « raisonnablement » attendu de travaux de prospective chiffrés et à recenser les difficultés communes à ce type d’exercice, parfois « périlleux ».
Prospective, de quoi parle-t-on ?
« La prospective n’a pas pour objet de prédire l’avenir mais de nous aider à le construire » résume Hugues de Jouvenel. Dans son document méthodologique paru en 2014, France Stratégie définit la démarche prospective comme « un ensemble de recherches concernant les futurs possibles… pour modeler des visions stratégiques destinées à « maîtriser » le futur ». Objectif : a minima se préparer au changement pour s’éviter l’écueil de la réaction, a maxima « pro-agir » pour en faire un changement souhaitable. Dans le domaine de l’emploi, les travaux de prospective chiffrés consistent pour l’essentiel à estimer l’évolution de postes à pourvoir sur un territoire et/ou pour tel ou tel type de métiers ou d’activités. Ils existent en France depuis le début des années 1990 à l’échelle nationale et depuis le milieu des années 2000 au niveau régional.
À quoi servent-ils ? À anticiper les transformations de l’emploi pour adapter l’offre de formation initiale et continue aux besoins des entreprises et sécuriser les parcours professionnels des salariés. En clair : minimiser le risque qu’une entreprise ne trouve pas les compétences dont elle a besoin sur le marché du travail ou qu’une personne s’oriente dans une formation sans réels débouchés. Attention, préviennent les auteurs, on parle ici de projections à cinq ans minimum, dix ans le plus souvent dans les faits. La prospective n’a donc pas vocation à prévoir les besoins conjoncturels d’emplois – un exercice de prévision qui ressort en l’espèce de calculs basés sur les projets de recrutement à court terme des entreprises.
Au-delà, la démarche doit garder « une ambition raisonnable », tempèrent les auteurs. Typiquement il ne lui revient pas de décider de la modulation des effectifs de formation. D’abord parce que profession et spécialité de formation ne sont étroitement liées que pour un tiers des emplois. La relation formation/emploi est complexe et une projection à cinq ou dix ans ne constitue qu’un des « indices » qui vont guider l’action publique. Ensuite parce que choisir le temps long, c’est se colleter avec l’incertitude et donc prendre un (gros) risque. La prospective éclaire plus qu’elle ne prévoit stricto sensu.
Écueils, difficultés et questions de méthode
La première des difficultés en matière de prospective territoriale de l’emploi, avancent les auteurs, c’est la disponibilité des données. Peu de sources statistiques publiques permettent de disposer à la fois d’information sur les caractéristiques des emplois – comme le niveau de qualification – et sa localisation. L’écueil le plus commun, lui, consiste à restreindre le périmètre de l’étude pour tenter d’affiner la prévision. Fausse bonne idée : plus la zone (géographique ou d’activité) est petite, plus l’économie de cette zone est sensible aux décisions d’un (tout) petit nombre d’acteurs (une seule entreprise parfois).
Questions de méthode. Les plus partagées ont trait à la déclinaison à une autre échelle des projections macro-sectorielles existantes – typiquement celles de France Stratégie et de la DARES. Comment décliner au niveau des territoires les prévisions nationales ? Comment anticiper des besoins en compétences sur la base de projections quantitatives par métiers ou secteurs d’activité – sachant qu’existent des référentiels de compétences par métiers ?
Enfin, dernière question mais pas des moindres, comment intégrer des scénarios de rupture dans la démarche prospective ? La pratique actuelle est « peu satisfaisante », déplorent les auteurs. Elle consiste généralement à quantifier un scénario tendanciel – qui prolonge ou infléchit sous certaines hypothèses les tendances passées – puis à le déformer a posteriori pour tenir compte d’une « hypothèse disruptive », ou simplement à y ajouter à la marge un scénario de rupture qualitatif. Mieux vaudrait choisir, recommandent les auteurs, tendance ou disruption, et assumer le parti-pris.
Autant de difficultés qui, pour être dépassées, appellent en premier lieu « un partage de la responsabilité », insistent les auteurs. Une exploration prospective ne se fait pas « en chambre » mais au sein d’une équipe associant commanditaires, prospectivistes et acteurs autour d’un objectif explicite et partagé.
Céline Mareuge
Journaliste Web