Dans la lean production, cette autonomie est plus encadrée, avec des processus standardisés et de fortes contraintes de rythme de travail. Les organisations tayloriennes et simples se caractérisent de leur côté par une autonomie limitée des salariés, une grande répétitivité des tâches et un faible apprentissage dans le travail avec des procédures de travail moins formalisées pour les structures simples.
Chacun de ces modèles a évidemment des implications pour les entreprises comme pour les salariés. Les pratiques organisationnelles et managériales inspirées du modèle apprenant apparaissent bénéfiques aux unes comme aux autres, dans la mesure où elles favorisent la qualité du travail, le développement des compétences et la diusion des innovations. Plusieurs pays d’Europe du Nord ont mis en place de longue date des programmes pour encourager ce modèle. En France, la question de l’organisation du travail est souvent ignorée ou sous-estimée dans les politiques publiques, parce que les modalités de mise en oeuvre sont difficiles à identifier ou parce qu’elles sont considérées comme la « boîte noire » de l’entreprise. L’étude de France Stratégie ici résumée entend ouvrir cette « boîte noire » pour mieux appréhender les liens entre organisation du travail, qualité du travail et diusion des innovations, à partir de l’enquête européenne EWCS (European Working Conditions Survey) menée tous les cinq ans auprès des salariés dans les États membres de l’Union européenne.
Il ressort de cette étude que la France, par rapport à la moyenne européenne, compte une proportion plus élevée de salariés du secteur privé travaillant dans une organisation apprenante (43 % vs 40 %) ou en lean production (32 % vs 27 %). À l’inverse, la proportion de salariés français travaillant dans une organisation taylorienne (12 % vs 15 %) ou dans une structure simple (13 % vs 18 %) est plus faible que la moyenne. Pour la proportion de salariés en organisations apprenantes, la France se situe certes au niveau de l’Allemagne (45 %), mais loin derrière les pays nordiques et les Pays-Bas (entre 54 % et 62 %). Qui plus est, la dynamique sur la décennie 2005-2015 semble plus favorable en France à la lean production (+10 points de salariés concernés) qu’à l’organisation apprenante (-3 points sur la période).
L’étude de France Stratégie tend par ailleurs à confirmer que l’organisation apprenante conduit à une meilleure qualité de travail, une fois contrôlés la profession et la catégorie sociale des salariés, la taille et le secteur d’activité de l’entreprise. Inscrire la promotion de ce modèle à l’agenda des réformes, en France comme en Europe, serait un moyen de répondre aux défis d’une ampleur inégalée qui s’annoncent à l’horizon 2030.
Cela permettrait tout d’abord de développer chez les salariés la capacité d’apprentissage et le niveau d’autonomie au travail, l’esprit critique et l’aptitude à résoudre des problèmes complexes – autant de compétences cognitives, organisationnelles et sociales de plus en demandées sur le marché du travail. De manière plus générale, les innovations organisationnelles et managériales inspirées du modèle apprenant gagneraient à être appréhendées comme des leviers stratégiques en faveur du progrès économique, technologique et social. L’étude avance plusieurs recommandations pour accompagner les entreprises françaises qui cherchent à améliorer leur performance en matière d’innovation et à développer les compétences des salariés et la qualité du management.
Retrouvez en podcast l'entretien de Salima Benhamou pour vous présenter les principales conclusions de cette étude :