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L’intelligence artificielle – entendue comme l’ensemble des technologies visant à réaliser par l’informatique des tâches cognitives traditionnellement effectuées par l’humain – est aujourd’hui au cœur des débats sur les transformations sociales.
En première ligne, les mutations annoncées dans le domaine du travail suscitent deux attitudes contrastées. Les uns affichent leur optimisme devant une technologie porteuse de gains de productivité, donc source de richesse, et qui promet d’en finir avec les tâches les plus fastidieuses. Les autres prophétisent avec pessimisme la disparition inéluctable de pans entiers d’activité et des emplois correspondants. Ainsi posé, le débat public se polarise dans une opposition stérile puisqu’elle échoue à mettre en lumière les facteurs de transformation comme les leviers d’action.
Pour éclairer ces débats, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique, ont confié à France Stratégie une mission sur les impacts de l’intelligence artificielle (IA) sur le travail. Cette mission est complémentaire de celle confiée par le Premier ministre au député Cédric Villani, qui, avec un périmètre plus large, aborde les questions de la recherche, des politiques industrielles ou de l’éthique. L’objectif est le même : faire de la pédagogie pour éviter les fantasmes mais prendre la mesure des transformations qui s’annoncent tout en identifiant les politiques publiques adaptées.
L’IA a fait des progrès spectaculaires depuis quelques années. Des technologies relevant il y a peu de la recherche, tels l’apprentissage machine ou le deep learning, sont sorties des laboratoires pour réaliser des tâches qui semblaient auparavant inaccessibles aux machines, comme reconnaître une image, traduire de façon satisfaisante un texte simple ou gagner au jeu de Go. Ces technologies sont déjà présentes dans nos smartphones et constituent l’ossature de nombre de logiciels d’appariement déjà déployés, par exemple pour la publicité en ligne ou le profilage.
En dehors de quelques champs particuliers, la technologie est encore peu présente dans le quotidien de la plupart des métiers. Les promesses n’en sont pas moins nombreuses, notamment pour la banque de détail, les transports ou la santé, trois secteurs qui sont examinés ici de façon approfondie.
Certes, l’intelligence artificielle promet d’exécuter des tâches compliquées mais répétitives ou à forte régularité, ce qui affectera logiquement les métiers incluant ces tâches. Mais cette transformation n’est pas radicalement différente de la numérisation de l’économie, phénomène déjà ancien auquel se sont adaptés – avec plus ou moins de bonheur – la banque, les transports ou la santé, en modifiant le contenu des emplois, en formant les travailleurs, en développant de nouvelles activités. La montée en compétence des salariés en réponse à la robotisation est ancienne, notamment dans l’industrie, et peut être une garantie d’emploi si elle assure la croissance de l’activité de l’entreprise et du secteur. En témoigne la robotisation avancée de l’industrie automobile allemande : cette dernière, une des plus fortement robotisées au monde, emploie en 2016 plus de 800 000 salariés, 100 000 de plus qu’il y a vingt ans, contre 440 000 en France[1].
Certes, le risque existe d’une perte d’autonomie du salarié, soumis à un contrôle automatisé de plus en plus insidieux, avec les risques psychosociaux associés. On sait les débats soulevés par les conditions de travail dans certains entrepôts, où le contrôle automatisé des employés passe par un dispositif à synthèse vocale. De tels dispositifs peuvent conduire à des tâches plus fragmentées, exécutées avec l’accompagnement d’outils logiciels.
Aucun de ces défis n’est totalement nouveau, et l’amélioration des conditions de travail est une hypothèse tout aussi crédible que l’aliénation et l’intensification du travail. Tout dépend de la manière dont les gains de productivité permis par l’intelligence artificielle sont partagés ou des choix opérés dans l’organisation des tâches et des équipes.
De fait, d’autres facteurs que la technologie impactent le travail. Les comportements des travailleurs comme des clients ou des fournisseurs, le niveau de formation des travailleurs dans un secteur, les tensions éventuelles liées à des besoins de main-d’œuvre, les obligations réglementaires jouent bien souvent un rôle prépondérant dans les évolutions du travail.
Ce qui change aujourd’hui, c’est que l’intelligence artificielle repose bien souvent sur un mécanisme d’apprentissage, où l’accumulation de données permet l’amélioration continuelle des dispositifs. Au point d’engendrer, un jour, d’ici cinq ans, dix ans ou plus selon les tâches, une véritable rupture dans ce qu’il est technologiquement possible de faire. Emblématique de cet horizon est l’avènement promis du véhicule autonome. Cette révolution dans la mobilité pourrait faire disparaître à terme le métier de chauffeur mais elle ouvre en même temps des possibilités multiples de nouveaux métiers dans les activités complémentaires. Construction, entretien, gestion de flotte, accompagnement des passagers demeureront, alors que les sorties récréatives, la logistique ou tout simplement les déplacements professionnels bénéficieront de coûts plus faibles ou d’une disponibilité accrue.
Dans les trois champs examinés dans ce rapport, des avancées spectaculaires sont annoncées : un véhicule autonome assurant la mobilité, un conseiller bancaire automatisé sous forme d’un robot conversationnel ou chatbot, un assistant médical qui concourt au suivi de la santé et du bien-être au quotidien, au pré-diagnostic et aux propositions thérapeutiques.
Combien de personnes sont concernées dans leur travail au quotidien ? Potentiellement tout le monde, d’autant que les outils d’intelligence artificielle présentent un caractère générique, typiquement le traitement du langage naturel ou la reconnaissance d’images ou de la voix. Les 800 000 personnes travaillant en France comme conducteurs sont susceptibles de voir leur travail changer radicalement, à mesure que se déploient les véhicules autonomes. Le plus souvent, cette transformation ne sera pas brutale mais elle conduira à orienter le contenu du travail vers des tâches de supervision, ou vers des tâches d’accueil, ou encore vers des tâches que la machine est incapable de gérer (comme de trouver la sonnette, pour un livreur).
L’horizon paraît lointain mais il met d’ores et déjà en mouvement les acteurs – innovateurs, professionnels installés, clients ou utilisateurs –, ce qui en retour affecte la dynamique de transformation du travail.
Il faut se préparer à l’intelligence artificielle, non parce que l’avènement de la technologie est inéluctable, mais parce que dans la société où nous sommes, les possibilités technologiques ouvrent des perspectives nouvelles pour les individus, les organisations, les structures. Il n’est pas crédible de s’opposer durablement à des solutions qui améliorent l’état de santé de nos concitoyens, qui donnent accès à une mobilité plus sûre et à moindre coût ou à des services financiers moins chers et plus adaptés aux besoins des consommateurs.
En revanche, il n’y a pas de voie unique dans cette évolution. C’est là que doit porter l’effort des pouvoirs publics : définir une voie correspondant aux attentes sociales des citoyens, en définissant les contrôles appropriés sur les sujets critiques – responsabilité, sécurité, etc. – en accompagnant les évolutions qui sont trop rapides pour que le tissu social et économique s’ajuste naturellement.
Sur la base de l’analyse présentée, le rapport identifie trois axes pour répondre aux enjeux soulevés par l’intelligence artificielle en matière de travail :
- conduire, à l’échelle de la branche ou de la filière, des travaux de prospective sur le potentiel de l’intelligence artificielle, pour assurer un bon niveau d’information et d’anticipation des acteurs ;
- assurer la formation des travailleurs aux enjeux de demain : former des travailleurs très qualifiés pour produire l’IA, et des travailleurs conscients des enjeux techniques, juridiques, économiques ou éthiques que posent le recours à des outils à base d’intelligence artificielle ;
- renforcer des dispositifs de sécurisation des parcours professionnels pour les quelques secteurs ou sous-secteurs qui seraient fortement impactés par le risque d’automatisation.
Enfin, il conviendra de ne pas sous-estimer les risques en matière de condition de travail – perte d’autonomie, intensification du travail, etc. – liés aux conditions de déploiement des outils IA dans les organisations du travail.
1 Le Ru N. (2016), « L’effet de l’automatisation sur l’emploi : ce qu’on sait et ce qu’on ignore », La Note d’analyse, n° 49, France Stratégie, juillet ; voir aussi les chiffres clés du secteur automobile.
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