« La fin d’une malédiction ». C’est ce que sont tentés de lire dans leurs résultats Haithem Ben Hassine et Claude Mathieu, les deux auteurs de ce document de travail publié par France Stratégie. Le travail d’évaluation de la politique des pôles de compétitivité qu’ils ont mené sur la période 2006-2012 montre que le dispositif porte enfin ses fruits. L’appartenance à un pôle a bien entraîné un surcroît d’investissement en R-&-D autofinancée à partir de 2009. Un « effet de levier significatif » qui n’avait jamais été démontré jusqu’ici. Explications.
À la recherche de l’effet de levier
Du Danemark au Japon, en passant par l’Allemagne, les politiques de soutien aux « clusters » (littéralement grappe ou essaim) fleurissent à partir des années 1980. La France, de son côté, franchit une étape en 2005, en labélisant 67 « pôles de compétitivité ». Définis par la loi comme « le regroupement sur un même territoire d'entreprises, d'établissements d'enseignement supérieur et d'organismes de recherche publics ou privés ayant vocation à travailler en synergie pour mettre en œuvre des projets de développement économique pour l'innovation », les pôles de compétitivité sont alors pensés comme une mesure phare de la nouvelle politique industrielle.
Concrètement, le dispositif prévoit des subventions publiques pour des projets de R-&-D collaboratifs. Doté pour la seule période 2009-2012 d’une enveloppe de 1,5 milliards d’euros, il a permis le financement de 1 042 projets entre 2006 et 2012. On comptait 71 pôles en 2012, réunissant près de 9 000 entreprises (contre 4 000 en 2006). Et le dispositif est entré dans sa troisième phase en 2013, celle qui vise à passer d’une dynamique « de projets » à une dynamique « de produits », c'est-à-dire de mise sur le marché de nouveaux procédés et de nouveaux produits. Pour autant, jusqu’ici, aucune étude n’avait encore pu démontrer l’existence d’un « effet de levier ». Autrement dit, rien ne prouvait que les financements obtenus avec le label « pôle » avaient bien eu un effet d’entraînement sur les dépenses privées de R-&-D, durant les deux premières phases du dispositif. Ces évaluations tendaient même plutôt à conclure à l’absence d’effets probants, quels qu’ils soient.
Un impact « significatif » sur la R-&-D
Cette étude a donc le mérite de préciser le diagnostic. Comment ? D’une part, en prolongeant la durée d’observation : les données individuelles d’entreprises utilisées par les auteurs se situent sur 2006-2012, soit une période plus longue que celle retenue dans l’étude de référence en la matière (celle de Bellégo et Dortet-Bernadet(2014)). D’autre part, en se basant sur une démarche économétrique dite « méthode de différence de différence conditionnelle » qui a fait ses preuves dans le champ de l’évaluation scientifique – elle permet, pour simplifier, de reproduire une expérience naturelle en contrôlant les biais de sélection.
Résultats ? D’abord – et c’est là que les auteurs se disent « tentés d’entrevoir la fin d’une malédiction » – l’étude montre clairement que l’appartenance à un pôle a un impact « significatif » sur les dépenses totales de R-&-D dès 2007 et sur la partie autofinancée à partir de 2009. En moyenne, pour 1 euro d’aide publique reçu en 2012, chaque entreprise a réalisé au total environ 3 euros de dépenses de R-&-D dont presque 2 euros sont autofinancés. Cet effet de levier est très net pour les PME mais plus mitigé pour les grandes entreprises et les ETI (entreprises de taille intermédiaire). Il est surtout, de par son ampleur et sa constante augmentation depuis 2009, un résultat important, en rupture avec ce qui a pu être observé les années précédentes et dans d’autres pays ayant un dispositif similaire.
Enfin, les auteurs constatent que les firmes des pôles ont embauché davantage de personnel de R-&-D – une embauche supplémentaire de l’ordre de 27,5 % de leur effectif annuel moyen de R-&-D en 2012. En revanche, toutes choses égales par ailleurs, en 2012 l’appartenance à un pôle ne se traduit pas (encore) par des performances supérieures en aval de la R-&-D, que ce soit en termes de chiffre d’affaires, de dépôt de brevet, d’exportation, d’emploi total ou de valeur ajoutée.
Mais il faut dire que ces effets-là prennent du temps ! Affaire à suivre donc après ce premier bilan qui prouve déjà l’existence d’un impact significatif sur l’autofinancement. Un effet nécessaire et recherché pour enclencher la dynamique d’innovation.
Céline Mareuge
Les opinions exprimées engagent leurs auteurs
et n’ont pas vocation à refléter la position du gouvernement.