Rapport
Publié le
Vendredi 28 Avril 2023
France Stratégie publie les résultats de la recherche menée par le Crédoc à la demande du comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté 2018-2022 sur les besoins des familles en situation de pauvreté en matière d’accueil du jeune enfant et d’aide à la parentalité.
La stratégie de lutte contre la pauvreté 2018-2022 comportait plusieurs mesures ayant pour objectif de favoriser l’accès aux modes d’accueil formels des enfants des familles défavorisées, d’améliorer leur qualité et de soutenir la parentalité. En complément, le gouvernement a lancé en 2021 un appel à manifestation d’intérêt « Accueil pour tous » qui visait à faire émerger des projets innovants pour agir contre la non-demande d’accueil par les ménages les plus fragiles, en leur proposant une réponse adaptée à leurs besoins.
De nombreuses études montrent les bénéfices de la fréquentation d’un accueil formel de qualité pour le développement des jeunes enfants : c’est particulièrement vrai pour les enfants issus de milieux défavorisés, mais leur fréquentation de ces lieux est aussi bien inférieure à la moyenne de l’ensemble des enfants de moins de trois ans. Ainsi, en 2018, seuls 19 % des enfants appartenant aux familles vivant sous le seuil de pauvreté fréquentaient un mode d’accueil formel, contre 56 % des enfants issus des familles au-dessus du seuil de pauvreté[1]. En comparaison avec les autres pays de l’OCDE, cet inégal accès selon le milieu social est particulièrement marqué en France[2].
Afin d’approfondir la connaissance sur les besoins et les attentes des familles en situation de pauvreté en matière de mode d’accueil et de services d’aide à la parentalité, le comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, présidé par Louis Schweitzer, a lancé un appel à projets de recherche. Le Crédoc a été sélectionné pour mener une recherche qualitative originale qui se concentre sur la compréhension des ressorts de la mise à distance et/ou du possible rapprochement à l’offre des parents de jeunes enfants de milieux défavorisés. Ce travail a bénéficié d’un suivi par un comité technique regroupant la CNAF, la DGCS le HCFEA, un membre du comité d’évaluation de la stratégie de lutte contre la pauvreté et France Stratégie.
L’équipe de recherche a mené 44 entretiens, majoritairement en face-à-face, auprès de familles en situation de pauvreté principalement monoparentales. Deux territoires contrastés ont été choisis : la Seine-Saint-Denis et l’Aveyron. Sur ces territoires ont également été interrogés près de vingt acteurs locaux institutionnels et associatifs en charge de l’accompagnement des publics. Les travaux de recherche existants sur les freins à l’accès aux modes d’accueil formels ont aussi été mobilisés. Le projet s’est déroulé de mai 2022 à mars 2023.
Les résultats, présentés dans la synthèse et le rapport de recherche accessibles sur le site de France Stratégie, apportent un nouvel éclairage sur le non-recours aux modes d’accueil formels par les familles de milieux défavorisés et proposent des pistes d’action pour favoriser la demande. L’originalité de cette recherche réside dans l’analyse du point de vue des parents afin d’identifier les ressorts de la mise à distance et/ou du possible rapprochement vis-à-vis de l’offre d’accueil.
Le rapport présente cinq profils de famille, principalement des mères en situation de pauvreté : les mères esseulées, les mères « célibattantes », les mères distantes, les mères précarisées faute d’accueil, et les mères ou familles défiantes qui se soustraient aux logiques du contrôle social. Les profils se distinguent sur trois aspects :
- leur modèle familial : les familles sont plus ou moins attachées à un modèle de vie familiale dit « traditionnel » ou « populaire » où « les rapports entre hommes et femmes, adultes et enfants sont régis par des logiques statutaires laissant peu de place aux interrogations éducatives et à la recherche de ressources autour de la parentalité » ;
- leur rapport à l’extérieur vis-à-vis de la parentalité : les familles « se différencient sur le souhait de construire leur parentalité uniquement au sein de leur réseau communautaire ou familial ou bien de recourir activement aux ressources extérieures (activités, accueils, échanges) pour leurs enfants et elles-mêmes » ;
- leurs expériences vécues et les rapports aux institutions (Protection maternelle et infantile ou services de protection de l’enfance) dont les missions d’accompagnement voire de contrôle peuvent être perçues comme « à charge » et venir ainsi freiner les dynamiques de parentalité et contrarier le rapport à l’extérieur de ces parents.
Selon les profils, les familles expriment une plus ou moins grande ouverture aux modes d’accueil formels et aux services d’aide à la parentalité. L’ouverture aux modes d’accueil ne signifie toutefois pas nécessairement une adhésion complète et immédiate de ces familles à ces lieux. La recherche souligne par ailleurs l’existence d’une défiance, commune à l’ensemble des profils, envers les intervenants extérieurs, suspectés de pouvoir juger et dénoncer la situation de la famille.
La recherche se conclut sur quatre préconisations pour améliorer le recours des familles en situation de pauvreté aux modes d’accueil formels et aux services d’aide à la parentalité :
- démontrer les bénéfices possibles des modes d’accueil collectifs et individuels pour les enfants par l’observation et l’association graduelle et sur un temps long des familles. La distance culturelle ou sociale, voire la défiance, des parents en situation de pauvreté vis-à-vis des modes d’accueil de la petite enfance nécessite de pouvoir leur démontrer l’apport de ces lieux pour leurs enfants. Pour ce faire, le rapport préconise la participation des parents aux activités des structures (jeux, ateliers, etc.) ;
- penser l’accueil progressif et les formes d’accueil mixte. Afin de rassurer les parents sur l’expérience à venir de leur enfant en crèche, la recherche recommande d’allonger la période d’adaptation et d’y associer davantage les parents ;
- partager un référentiel commun sur la parentalité entre les professionnels et les parents afin de montrer à ceux-ci qu’ils sont des acteurs concernés par leurs enfants, et débattre avec eux des objectifs de développement et de bien-être des enfants ;
- penser, outiller, accompagner la gouvernance territoriale des politiques de la petite enfance et de l’emploi afin de rapprocher ces domaines pour un meilleur partenariat autour des parents à distance plus ou moins grande de l’emploi.