Cette déviation alerte sur les difficultés rencontrées dans l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle provient à peu près pour moitié des faibles performances constatées dans le domaine des transports, où le dépassement de l’objectif 2016 s’élève à 6%[2] ; et pour moitié de celles dans le domaine du bâtiment, où le dépassement est de 11%[3]. Or ce sont là deux secteurs où l’action publique menée par les collectivités territoriales peut avoir de l’influence.
La trajectoire carbone de la France est fixée par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC[4]) ; elle est ensuite déclinée via la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). En France, la production et la consommation d’énergie représentent en effet près de 70% des émissions de gaz à effet de serre[5], les 30% restants provenant principalement de l’agriculture (15%), des procédés industriels (10%) et de la gestion des déchets (3%). La PPE, dont la révision est en cours et devrait être achevée pour la fin 2018, vise à actualiser les objectifs que se fixe notre pays dans le principal secteur émetteur de gaz à effet de serre.
Il s’agit de décliner quantitativement, pour les périodes 2018-2023 et 2024-2028, nos ambitions en termes de maîtrise de la demande d’énergie, de développement des énergies renouvelables, ou encore de production d’électricité nucléaire par exemple.
Pour le moment, la contribution des collectivités territoriales à la définition et à la réalisation des objectifs assignés aux différentes filières par la PPE reste faible. Il s’agit pourtant d’une question essentielle pour concrétiser nos orientations nationales, dès lors que ces collectivités sont directement responsables de 12% des émissions de gaz à effet de serre (bâtiments et transports publics, par exemple) et que, par leurs compétences, elles ont une influence sur la moitié des émissions[6] (aménagement du territoire, urbanisme, notamment).
La PPE est un texte important destiné en particulier à traduire nos ambitions en matière de lutte contre le changement climatique, mais son intérêt et sa crédibilité tiennent à la capacité de le mettre en œuvre dans les faits. C’est pourquoi il est nécessaire de travailler sur la question de son appropriation au niveau territorial, c’est-à-dire sur son articulation avec les capacités d’intervention des acteurs sur le terrain.
Aujourd’hui, la faible coordination des démarches locales et nationale est problématique à plusieurs titres. Tout d’abord, elle limite l’effectivité des prescriptions émises au niveau national. Ensuite, elle empêche la mise en cohérence des nombreuses politiques mises en œuvre par les collectivités territoriales, donc affaiblit leur efficacité d’ensemble au regard des enjeux climatiques. Enfin, elle entrave notre capacité à mener à bien une transition énergétique à grande échelle, qui doit pourtant s’effectuer sous des contraintes fortes à la fois de temps et de ressources économiques dédiées.
Les acteurs locaux doivent davantage être associés à l’élaboration et la mise en œuvre des objectifs nationaux
La PPE concerne de facto des aspects clés de l’action publique locale. La mobilisation et la structuration des activités économiques qu’elle implique correspondent souvent à des enjeux locaux. Par exemple, la mobilisation de la filière bois nécessite de structurer les différents réseaux de production et les chaînes logistiques, mais aussi de coordonner la demande (bois de chauffage et de construction notamment). De la même manière, l’offre de rénovation énergétique des bâtiments doit être adaptée aux réalités locales et la demande de rénovation être guidée vers cette offre si l’on veut atteindre les objectifs fixés au niveau national dans ce domaine (rappelons que le Plan Climat présenté par Nicolas Hulot vise un objectif de 700 000 logements rénovés par an[7]). Plus généralement, tenir les objectifs de la PPE supposera d’adapter des dispositifs de formation professionnelle et d’aide au développement économique, ou encore de sensibiliser les citoyens à ces sujets : autant d’instruments à la main des collectivités territoriales.
Enfin, ce sont elles qui vont devoir faire face à la fermeture de sites industriels et conduire la reconversion économique de leurs bassins d’activité. Les élus locaux seront en première ligne des difficultés sociales, économiques et politiques induites par cette grande transformation (fiscalité locale, retombées économiques directes et indirectes). Il faut donc les associer pour mieux anticiper ces transitions et les réussir, faute de quoi le risque est fort que les décisions nécessaires se voient reportées. À cet égard, les Contrats de transition écologique[8] proposés par le gouvernement constituent un premier pas.
Les politiques locales gagneraient à être coordonnées, à de multiples niveaux
Les collectivités mettent en œuvre leurs propres politiques énergie-climat, qu’il s’agisse d’appliquer la réglementation ou d’aller plus loin. Certaines se lancent dans des programmes ambitieux, comme la région Occitanie, avec son projet de « Région à énergie positive », qui vise à diviser par deux sa consommation d’énergie à horizon 2050 et à multiplier par trois sa production d’énergie renouvelable[9]. D’autres tâtonnent et tentent de s’approprier des compétences nouvelles. Il est essentiel d’accompagner et d’assurer la cohérence de ces politiques territorialisées. Si les efforts financiers et l’engagement de chacun des acteurs territoriaux devaient se heurter à des contraintes techniques, économiques ou réglementaires, le risque de démobilisation serait important et des ressources seraient gâchées.
Les collectivités locales commencent à mettre en place une ingénierie adaptée, mais celle-ci reste insuffisante : une forte coopération, à l’échelle locale comme nationale, s’avère nécessaire pour que toutes s’engagent sur une trajectoire bas-carbone. Le déficit global d’ingénierie les rend en outre vulnérables aux stratégies d’influence de divers acteurs, dont les objectifs ne sont pas nécessairement ceux d’une maîtrise des consommations et d’une sortie des énergies fossiles.
La contribution des collectivités locales est incontournable pour atteindre nos objectifs climatiques
Les collectivités disposent de compétences importantes, qui devront être mobilisées si la France veut atteindre la neutralité carbone à horizon 2050[10]. Leur contribution est par exemple essentielle pour maîtriser les besoins de transports et décarboner ce secteur. Positionnées sur les questions de qualité de vie, de cohésion sociale (lutte contre la précarité énergétique) et d’intégration des citoyens (actions de sensibilisation, à l’école et lors d’évènements locaux), elles constituent l’échelon-clé pour déclencher, par leur action, le changement des comportements individuels, sans lequel rien de tangible ne se fera[11][12].
Au-delà de l’établissement de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, c’est l’articulation de celle-ci avec les politiques énergie-climat des collectivités qui permettra d’engager de façon sûre la transition bas-carbone du pays.
[1] https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-30508-snbc-indicateurs.pdf
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[8] http://www.lagazettedescommunes.com/543583/sebastien-lecornu-des-contrats-de-transition-ecologique-pour-faire-du-sur-mesure/
[11] https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Th%C3%A9ma%20-%20Trajectoires%20de%20transition%20bas%20carbone%20au%20moindre%20co%C3%BBt.pdf
[12] Par exemple, en 2017, 86% des sondés par l’ADEME dans son enquête annuelle sur l’opinion française et le climat considèrent que « leur territoire devra prendre des mesures importantes dans les décennies à venir pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques ». Source : ADEME, Boy D., (2017), Les représentations sociales de l’effet de serre et du changement climatique. Rapport final, étude réalisée pour le compte de l’ADEME par Daniel Boy.