Discours de Pierre Moscovici, Commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière - 30 novembre 2015
La Conférence sur le climat qui s'ouvre aujourd'hui à Paris est un moment charnière pour notre avenir. Nous devons prendre des décisions qui engageront la planète entière, les citoyens qu'elle portera demain, les conditions environnementales, geostratégiques et sociales dans lesquelles ils vivront. L'enjeu est véritablement d'écrire le destin des générations futures, bien au-delà de nos frontières.
Une dynamique politique unique est à l'œuvre depuis des mois, qui doit trouver son point d'aboutissement dans les prochains jours. Il y a eu de vraies déclarations d'intention, fortes, claires, au plus haut niveau politique: il faut à présent les concrétiser dans cette dernière ligne droite des négociations. C'est une responsabilité importante, et collective.
L'enjeu s'énonce clairement : il nous faut limiter le réchauffement climatique à moins de deux degrés avant la fin du siècle. Y parvenir n'est pas aussi simple. Cela nécessite de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre d'au moins 50% d'ici à 2050 par rapport à 1990 et de s'approcher de zéro émission nette avant 2100. Pour cela, l'accord qui sera trouvé à Paris devra fixer un objectif opérationnel à long terme, comprendre des règles de transparence et de redevabilité, et permettre un examen régulier des efforts.
L'approche ascendante, ou bottom-up comme on dit en bon français, qui a été adoptée semble porter ses fruits : 184 Etats ont transmis leur plan climat national, ce qui représente près de 95% des émissions mondiales. Cette implication collective est sans précédent. A titre comparatif, la deuxième période d'engagement du Protocole de Kyoto n'est parvenue à mobiliser que 35 pays, pour environ 12% des émissions mondiales.
En mars dernier, l'Union européenne a été le premier grand émetteur à présenter sa contribution et à annoncer un objectif contraignant de réduction d'au moins 40% de ses émissions d'ici 2030, ainsi qu'une trajectoire d'au moins 80% de réduction d'ici 2050 si nos partenaires réalisent aussi leur part d'efforts.
La pré-COP, qui s'est déroulée du 8 au 10 novembre derniers, a mis en lumière des convergences de vue et des potentialités d'accord, mais beaucoup reste encore à faire. Le texte de 55 pages qui sert de base à la négociation a été établi à l'issue d'une longue nuit de discussions acharnées. Il laisse toutes les options politiques encore ouvertes, ce qui rend la période qui s'ouvre aujourd'hui totalement décisive.
La Commission européenne soutient pleinement la présidence française et espère comme elle que la COP 21 sera un grand succès mondial.
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Dans ces négociations, la question du financement va jouer un rôle central. La transformation de nos sociétés face au risque climatique suppose de grands changements dans les modèles économiques et d'investissement.
Pour aider les pays les plus pauvres à effectuer ces adaptations, les pays développés se sont engagés à augmenter le financement climatique pour atteindre 100 milliards d'ici 2020. L'UE et ses Etats-membres sont le premier contributeur de ce financement international. Comme nous l'avons annoncé très récemment, notre contribution pour le climat a atteint 14.5 milliards d'euros en 2014, au bénéfice des pays en développement.
Nous n'allons pas nous arrêter là. Nous allons doubler les subventions du budget européen, et du Fonds européen de Développement, pour l'action climatique dans les pays en développement d'ici 2020. Elles seront en moyenne €2 milliards par an entre 2014 et 2020, tandis que la Banque Européenne d'Investissement fournira elle aussi €2 milliards par an.
Nous intensifierons aussi le mixage, qui permet de combiner des subventions de l'UE avec des prêts ou des capitaux propres provenant de sources de financement publiques et privées. C'est un excellent moyen d'attirer des fonds supplémentaires pour financer la lutte contre le changement climatique.
Mais l'UE ne peut pas agir seule. La mise en œuvre de l'accord de Paris requiert un ensemble d'actions au niveau international. C'est pourquoi tous les pays dont la situation le permet doivent accroitre leur coopération et contribuer pour leur juste part au financement climatique. Toutes les contributions financières doivent être dynamiques et adaptées à l'évolution des besoins et des capacités. Notre objectif est d'avoir un système bénéficiant à tous sur la base d'une contribution juste et responsable de chacun. C'est la seule route possible pour atteindre notre objectif commun.
Elargir la base des contributeurs est important, mais encore faut-il être en mesure de calculer et de suivre ces flux de financements. Pour ce faire, l'accord qui sera trouvé dans les prochains jours devra ouvrir la voie à un cadre commun solide pour la mesure de ces flux de financements.
Les pays donateurs ont présenté, les 5 et 6 septembre derniers, une méthodologie de traçage des fonds privés mobilisés en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. C'est une étape importante qui sera suivie, je l'espère, par des dispositions concrètes en matière de transparence à l'issue de la conférence de Paris.
Mobiliser ces 100 milliards est indispensable pour renforcer la confiance entre les pays développés et les pays en développement, sans laquelle il ne peut y avoir de véritable projet commun. Suivre l'utilisation de ces financements est également important, car la transparence est une condition de la confiance.
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Néanmoins, l'ampleur des investissements nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à moins de deux degrés dépasse très largement ce montant. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin d'une réorientation substantielle des financements, publics et privés, vers des projets bas carbone et résilients, partout sur la planète.
Pour ce faire, il y a un prérequis évident : il faut un environnement politique porteur, c'est-à-dire un cadre prévisible sur le long terme. Les marchés financiers ont déjà commencé à internaliser les risques climatiques pour les actifs tant physiques que financiers. L'accord de Paris devra envoyer un signal fort au secteur privé pour l'assurer que les investissements à faible intensité de carbone, résilients face aux changements climatiques, auront une valeur bien au-delà de l'horizon 2020.
Des instruments financiers comme les obligations vertes et les partenariats public-privé doivent y aider. Les obligations vertes deviennent de plus en plus attractives, elles ont atteint un montant de 37 milliards de dollars l'année dernière. Dans ce domaine, l'Europe est à la pointe. Après avoir été la première à les lancer sur le marché en 2007, la Banque européenne d'investissement est aujourd'hui le plus important émetteur d'obligations vertes dans le monde (7,6 milliards d'euros en 2014).
Les cadres réglementaires devraient également être adaptés afin de favoriser la réorientation des investissements. La Commission européenne envisage par exemple de modifier la directive Solvabilité II pour inciter le secteur financier à investir davantage dans les infrastructures.
Une autre composante essentielle d'un environnement favorable est la tarification du carbone. A cet égard, la réforme du système d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre engagée par la Commission européenne en 2015 est une étape très importante. Cette réforme vise à protéger les secteurs exposés à la compétition internationale et à envoyer les bons signaux-prix aux investisseurs. L'examen de cette réforme par le Parlement européen ne sera pas une partie de plaisir, car je gage que tous les groupes de pression se mobiliseront pour défendre leurs intérêts et démontrer la légitimité à conserver des émissions gratuites.
Mais nous ne sauverons pas notre planète sans parvenir à dépasser les intérêts individuels. C'est tout l'enjeu des négociations qui se déroulent actuellement au Bourget, et je veux croire à la capacité de chacun à reconnaître que l'intérêt général mondial doit prévaloir. La Chine a annoncé qu'elle s'engageait à instaurer un marché du carbone national. Les Etats-Unis pourraient suivre la même voie. Ces nouvelles sont encourageantes et doivent nous garder du fatalisme ambiant qui, en matière climatique, serait tout simplement dramatique.
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Comme l'a affirmé le Conseil ECOFIN dans ses conclusions du 10 novembre dernier, le renforcement des moyens financiers en faveur de la lutte contre le changement climatique est un processus itératif, allant de pair avec la mise en place par les gouvernements locaux de stratégies et de politiques publiques cohérentes, facilitant notamment l'intervention du secteur privé.
C'est en effet une mobilisation complète de nos instruments qui est nécessaire. Décarboner le PIB ne peut pas être l'objet d'une note de bas de page dans nos documents d'orientation des politiques publiques. Je veux citer ici brièvement quelques exemples montrant comment, en Europe, la politique climatique est intégrée de manière horizontale dans nos autres domaines d'action.
Par exemple, l'importance d'investissements pleinement compatibles avec nos objectifs en matière de climat a été clairement prise en compte dans le Plan d'Investissements pour l'Europe. Ce plan met l'accent sur les infrastructures, l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables, identifiées comme priorités essentielles pour les investissements.
C’est dans ce cadre que la Commission devra reposer au niveau européen la question de la fiscalité de l’énergie, notamment des carburants. Aujourd’hui, les fiscalités nationales favorisent largement les énergies fossiles au détriment des énergies renouvelables. La Commission a retiré sa proposition de directive visant à corriger ce non-sens économique du fait de l’opposition des Etats membres. Mais la question reste posée et il faudra en discuter politiquement, notamment après la COP21.
Enfin, la Commission a lancé en février 2015 une stratégie européenne pour une union de l'énergie. Son enjeu est de garantir l'accès européen à une énergie sûre, soutenable, compétitive et abordable. Cette stratégie, lancée en février 2015, repose sur 5 dimensions complémentaires: la sécurité énergétique, un marché intérieur pleinement intégré, l'efficacité énergétique, la décarbonisation et la recherche et l'innovation.
La mise en cohérence des politiques publiques est indispensable pour parvenir à cette réorientation des investissements vers l'économie bas carbone.
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Mais nous ne pourrons enregistrer de réels progrès que si la communauté financière est elle aussi totalement mobilisée. Les banques, les gestionnaires de fonds, les assureurs doivent davantage prendre en compte le risque climatique dans leurs activités. A cet égard, je me réjouis des dernières initiatives du Conseil de Stabilité Financière pour améliorer l'information sur les risques climat.
Sous l'impulsion de la nouvelle présidence chinoise, le G20 a quant à lui mis en place deux groupes de travail pour étudier les liens entre réchauffement climatique et stabilité financière.
Cette prise de conscience généralisée est un excellent signal. Car il ne suffit pas que les dirigeants mondiaux tombent d'accord à Paris pour résoudre le problème du réchauffement climatique.
Pour instaurer un régime international crédible pour lutter efficacement contre les changements climatiques, il faut que cet enjeu soit pris en compte dans tous les pans de notre économie, par tous les acteurs de notre société.
Or le secteur financier, comme c'est souvent le cas, sera la pierre angulaire de ce régime. Il revient aux responsables publics de le convaincre de prendre en compte l'enjeu climatique tout autant qu'aux acteurs de ce secteur de faire preuve de responsabilité en épousant ce nouvel horizon mondialement partagé.
Car la conférence de Paris n'est qu'un point de départ, en aucun cas un point d'arrivée.