Introduction sur les enjeux de l'adaptation au changement climatique avec Morgane Nicol, directrice du Programme Territoires d'I4CE et Cédric Audenis, commissaire général adjoint de France Stratégie.
Animée par Nabil WAKIM, journaliste au Monde et présentateur du podcast Chaleur Humaine.
Questions du public et conclusion de Gilles de Margerie, commissaire général de France Stratégie
Adaptation au changement climatique dans les territoires : Comment associer efficacement les collectivités territoriales à la mise en œuvre de politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique ? Comment s’assurer de l’opérationnalité de ces politiques dans les territoires ? La conférence organisée conjointement par France Stratégie et l’I4CE le 30 janvier 2023 a permis de faire un tour d’horizon.
Eviter l’ingérable et gérer l’inévitable
La multiplication des conséquences du changement climatique, devenu inévitable qu’elles que soient les actions entreprises dans les prochaines années, exigera une capacité d’adaptation majeure : anticiper la gestion de crise, prévenir les impacts, diminuer la vulnérabilité des territoires pour limiter les risques socio-économiques ; en un mot, il faudra éviter l’ingérable et gérer l’inévitable.
Cédric Audenis, commissaire général adjoint de France Stratégie, nous explique les différences entre la politique d’atténuation et d’adaptation. Si la première a un objectif clair, à savoir la neutralité carbone en 2050, la seconde, qu’elle soit déployée sur le court ou long terme, est bien plus difficile à conceptualiser et à mettre en œuvre, d’autant plus que de nombreuses incertitudes persistent sur ses effets réels.
Le coût de l’inaction bien supérieur à celui de l’action
Le cout du changement climatique reste incertain, et mal documenté, même pour un scénario donné de réchauffement. Par rapport au rapport de l’ONERC de 2009, il y a des sujets où la quantification des effets a peu progressé (comme l’impact sur l’agriculture ou la biodiversité), mais sur d’autres, le progrès est réel : les simulations climatiques sont aujourd’hui beaucoup plus précises et à un niveau territorial fin (commune), on dispose désormais d’estimations sur la mortalité, et également d’estimations des dommages par les assureurs
« La France n’est pas prête pour faire face au changement climatique »
Mais concrètement, quels leviers les collectivités peuvent-elles déployer pour mettre en place une telle politique ? Morgane Nicol, directrice du programme Territoires pour l’I4CE, estime que « la
France n’est pas prête pour faire face au changement climatique ». Chaque année, environ 50 milliards d’euros sont investis dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais à aucun moment, la question de l’adéquation et de l’adaptation de ces investissements n’est posée. Un portrait sombre en apparence, mais pour Morgane Nicol, les solutions sont souvent plus simples qu’il n’y paraît : elles relèvent du bon sens, d’initiatives prometteuses et d’un consensus largement partagé.
Toutefois, la seule bonne volonté ne suffit pas pour surmonter un défi aussi titanesque : encore faut-il que l’adaptation soit intégrée dans le « millefeuille » territorial, ce qui implique des changements en termes de gouvernance. Cédric Audenis y voit plusieurs enjeux.
Premièrement, l’articulation entre l’échelon local et national doit être clairement définie. Ensuite, l’acceptabilité politique et la réduction des incertitudes au niveau local exigent d’associer l’ensemble des parties prenantes.
Par ailleurs, il convient de s’interroger sur la responsabilisation des acteurs privés vis-à-vis du risque climatique : faut-il mutualiser le risque climatique à l’image de la mutualisation du risque social à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ? Très concrètement, est-il préférable d’interdire certaines activités ou bien de prendre en charge les coûts liés aux fléaux climatiques ? L’inondation d’une habitation menacée par le retrait du trait de côte doit-elle être prise en charge par l’assurance ou une telle construction devrait-elle purement et simplement être interdite ?
Enfin, le caractère transversal des politiques d’adaptation est central : une insuffisante concertation, un cloisonnement trop marqué limiteraient indéniablement les effets escomptés.
L’Etat fixe la trajectoire, le cadre général et les normes qui devront trouver leur traduction concrète dans les territoires. Ronan Dantec, sénateur de la Loire-Atlantique, le résume ainsi : la norme, c’est l’Etat, l’application de la norme, ce sont les collectivités territoriales.
Un scénario pessimiste de +4°C sur le sol français nécessite « d’embarquer tout le monde »
Si les politiques d’adaptation sont désormais intégrées au portefeuille d’action des territoires, à quoi voulons- nous précisément nous adapter ? Le ministre de la Transition écologique et de la
Cohésion des territoires, Christophe Béchu, affirme qu’il faut modéliser deux trajectoires dans notre stratégie d’adaptation : un premier scénario « pessimiste » à + 4°C de réchauffement d’ici 2100 et un autre plus optimiste autour de + 2°C.
Ronan Dantec se dit partisan d’un scénario principal sur lequel les collectivités et les investisseurs publics peuvent se mettre d’accord. Selon lui, tous les investissements réalisés doivent se baser sur une augmentation de +4°C. Un objectif seulement atteignable en « embarquant tout le monde », souligne Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne Franche-Comté. Elle souhaite que l’Etat « jacobin très centralisateur » s’appuie davantage sur les
expériences locales, et soutienne davantage les actions dans sa région (notamment celles relatives à la rénovation thermique des logements).
L’opérationnalité des politiques d’adaptation sur le terrain : une difficile mise en œuvre
Certains territoires sont d’ores et déjà en état d’alerte maximale. Tel est le cas de la commune Mandelieu-la-Napoule, représentée par son maire Sébastien Leroy à la table ronde. Il rappelle qu’elle a subi 3 inondations majeures en 4 ans, dont 2 en seulement 8 jours, faisant 8 morts. Il déplore le blocage et la lenteur de la quasi-totalité des initiatives, parfois en raison d’absence de coordination entre les différentes strates de l’Etat. Ce qui peut être vertueux sur le
papier ne se traduit pas par les effets recherchés sur le terrain. D’où l’importance que l’opérationnel se base sur la souplesse, que le préfet retrouve une capacité d’opérationnalité concrète. Il n’est pas soutenable que des projets voient le jour au bout de 15 ou 20 ans.
En effet, la capacité à être opérationnel sur le terrain est un enjeu majeur pour les collectivités. Boris Ravignon, président de l’Ademe et maire de Charleville-Mézières le souligne : l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) fixe le cap, la trajectoire, la référence et les collectivités l’appliquent en fonction de leur situation spécifique.
Le bilan gouvernemental à la hauteur des enjeux ?
Le ministre défend son bilan et se félicite des avancées qui vont, selon lui, dans le bon sens : « en 5 décennies, on a artificialisé plus qu’en 5 siècles », alors qu’à partir d’aujourd’hui, « on va se contenter de 12 500 hectares par an au lieu de 25 000 actuels. », ce qui est possible notamment compte-tenu des 200 000 hectares de friches. Sur le ZAN, c’est la réglementation qui est privilégiée, mais dans d’autres domaines, ce sont plutôt des incitations qui seront mobilisées. Le fonds vert, doté de 2 milliards d’euros vient de voir le jour, et il financera notamment les actions
d’adaptation au changement climatique. Christophe Béchu indique que le gouvernement a également pour objectif de « verdir » les dotations aux collectivités locales, telles que la DETR et la DSIL.
Ronan Dantec estime que le cadre de la relation entre Etat et collectivité locales est posé, avec les PCAET sur le diagnostic, et les CRTE pour les cofinancements. Selon lui, il manque deux choses : i) davantage de financement pour les collectivités locales ii) un « narratif », qui permette de valoriser les résultats concrets des politiques passées d’adaptation.
La pesanteur administrative est une chose, l’ingénierie et les moyens humains en sont une autre, comme le rappelle une intervention du public. Boris Ravignon rappelle que les effectifs de l’Ademe sont à nouveau en progression après plusieurs années de baisse, et que l’agence fournit 600 chargés de mission en ingénierie aux collectivités locales. MC Dufay indique que la région dote également en capacité d’ingénierie les collectivités locales de Bourgogne Franche-Comté. Une autre intervention du public met en question la crédibilité d’une adaptation à un réchauffement de 4 degrés. Le sénateur Ronan Dantec rappelle que +4°C en France, c’est +2,6°C au niveau mondial. Il s’agirait là d’un monde qui survit, pas d’un monde qui s’écroule, l’adaptation est tout à fait possible.
Les solutions résident souvent dans les investissements de bon sens
Les échanges de la table ronde se clôturent sur une note positive. Le ministre de la Transition écologique rappelle que beaucoup de dispositifs efficaces ne nécessitent pas forcément une enveloppe financière massive, mais relèvent d’investissements de bon sens. A titre d’exemple, seuls 15 % des 30 millions de lampadaires en France sont équipés de lampes LED. Y remédier permettrait de favoriser les trames noires, la biodiversité et la sobriété énergétique.
Une adaptation qui « ne dépend que de nous »
Oui, le réchauffement climatique est un défi mondial et seule une réponse globale pourra en atténuer les effets. Toutefois, l’adaptation ne dépend que de nous et de la capacité de nos collectivités territoriales à mettre en œuvre efficacement la trajectoire impulsée au niveau national.
Tel est le message final que nous transmet Gilles de Margerie, Commissaire général de France Stratégie : l’impréparation est désormais un choix et la volonté affichée par le ministre de la Transition écologique de prendre en compte les deux scénarios de changement climatique dans la mise en œuvre de ses politiques publiques témoigne de cette prise de conscience. Une mise en œuvre qui exige « d’embarquer tout le monde », de « favoriser le dialogue avec les parties prenantes », de « surmonter les obstacles » et d’éviter la « mal-adaptation ».
Autant d’enjeux sur lesquels France Stratégie a apporté des éléments de réponse dans son rapport Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique.
Compte-rendu détaillé de la conférence réalisé par Sarah Bronsard