Nous avons fait le choix de ne pas nous cantonner à la définition réglementaire de la politique de l’alimentation pour proposer une vision plus large s’étendant à l’ensemble des politiques publiques concourant à l’alimentation, à ses qualités (nutritionnelle, sanitaire, organoleptique) et à sa durabilité : politiques nutritionnelles, sociales, environnementales, agricoles, agro-industrielles, économiques, commerciales, etc. Cette approche élargie de la notion de politique de l’alimentation, centrée sur la promotion de régimes alimentaires sains et durables [1], permet d’aborder de manière systémique les enjeux alimentaires, dans une mise en perspective internationale et nationale. La notion de système alimentaire, qui se définit comme « la manière dont les hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture [2] » sera placée au coeur de l’analyse.
La France est confrontée à des défis multiples : économique, avec un enjeu d’autonomie alimentaire ; économique et social avec un vieillissement de la population agricole, un manque d’attractivité et la faiblesse des revenus des métiers de l’agriculture ; environnemental, car l’agriculture et l’alimentation constituent une source non négligeable de gaz à effet de serre et de pollutions diffuses ; de santé publique, avec un taux d’obésité à un niveau historiquement élevé même s’il reste plus faible que chez la plupart de nos voisins européens, et avec des modes de production agricole qui ont contribué à l’émergence de nouvelles préoccupations liées aux contaminants chimiques.
Un système alimentaire français spécifique, avec des défis à relever
Malgré une forme de mondialisation de l’alimentation, la France préserve son régime alimentaire propre avec sa grande diversité, liée aux spécificités régionales et culturelles, et un modèle de « repas à la française » qui perdure. En termes de santé publique, la France est relativement moins confrontée au surpoids et à l’obésité que la plupart de ses voisins européens (avec en 2019 45 % de personnes en surcharge pondérale au lieu de 51% en moyenne dans l’UE 27, au sein de laquelle la France présente le second taux le plus faible). Mais elle n’échappe pas aux grandes tendances mondiales, avec une alimentation de plus en plus grasse, sucrée et salée, et une part croissante des aliments transformés. À ces tendances se conjugue une consommation d’alcool toujours trop élevée. Le système alimentaire français doit donc encore relever de grands défis en matière de santé publique, en lien avec la qualité nutritionnelle mais aussi l’alcool.
Les modes de production agricole font encore beaucoup appel aux intrants chimiques (engrais et pesticides), ce qui impacte tout à la fois la santé et l’environnement. On constate également une hausse de la précarité alimentaire, avec un doublement du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire entre 2009 et 2018, suivi d’une hausse d’environ 10 % entre 2019 et 2020. Les contraintes budgétaires expliquent les consommations différenciées entre les ménages en fonction de leur niveau de vie.
Bien que notre industrie agroalimentaire reste importante, notre autonomie alimentaire se dégrade, avec certaines filières déficitaires, comme les fruits et légumes. Hors excédents liés aux vins et céréales, la France connaît désormais un déficit de sa balance commerciale et importe environ 20 % de son alimentation. En amont, le vieillissement de la population agricole, le manque d’attractivité et la faiblesse des revenus des métiers de l’agriculture fragilisent le secteur.
Les politiques nationales de nutrition et d’alimentation n’apportent que des réponses partielles à ces grands défis
Les principaux instruments permettant d’accompagner les consommateurs vers une alimentation plus saine et plus durable pour tous sont déjà bien identifiés : l’éducation à l’alimentation tout au long de la vie au plus près du terrain, assortie d’outils de partage et d’évaluation des pratiques ; des dispositifs d’information nutritionnelle et environnementale comme le Nutriscore ou l’affichage environnemental ; l’encadrement de la publicité ; des actions auprès de l’industrie pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments ; les dispositifs d’aide alimentaire ; la fiscalité comportementale. Ces instruments sont déjà partiellement mobilisés par les programmes nationaux de l’alimentation (PNA) et nutrition-santé (PNNS), clés de voûte des politiques de l’alimentation dont les synergies sont à renforcer.
Parallèlement, il est possible de faire évoluer la production agricole nationale pour contribuer à l’alimentation saine et durable des Français, d’accélérer l’évolution de la politique agricole commune pour qu’elle devienne plus favorable à l’environnement et à l’emploi, de renforcer les mesures de soutien à la transition agroécologique, ainsi que les initiatives des projets alimentaires territoriaux. Il faut continuer à rechercher une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les acteurs.
Comment accélérer la transition vers un système alimentaire plus durable ?
- Proposer un meilleur accompagnement du consommateur est nécessaire. Cela passe d’abord par l’éducation à l’alimentation, tout au long de la vie. Au-delà du choix des aliments, les consommateurs doivent être sensibilisés aux modes de consommation, forts contributeurs aux inégalités de santé, ainsi qu’à l’activité physique, dans le cadre d’une approche unifiée de la nutrition.
- Améliorer l’information nutritionnelle et environnementale auprès du consommateur, notamment via l’étiquetage. En effet, le consommateur est confronté aux moyens publicitaires et aux stratégies marketing des producteurs et marchands de produits de faible qualité nutritionnelle. La publicité doit ainsi être mieux encadrée.
- Utiliser les leviers de la fiscalité comportementale ; il faut ainsi notamment évaluer la faisabilité et l’intérêt de la proposition discutée au Parlement européen de moduler la TVA sur les aliments en fonction des bénéfices nutritionnels et de leur empreinte carbone.
- Améliorer l’accès à une alimentation de qualité qui, souvent, diffère suivant les territoires et les publics ;
- Renforcer les moyens alloués à l’aide alimentaire et sa qualité.
- Soutenir les actions locales en renforçant les partages d’expériences entre collectivités locales.
Les objectifs de santé et de lutte contre le réchauffement climatique doivent structurer dans la durée les politiques
Les actions concourant à la politique de l’alimentation sous l’angle de la nutrition doivent mieux tenir compte des acquis de l’expérience acquise en France et à l’étranger, et être conçues de manière à être évaluables, pour pouvoir en détecter les limites et y remédier.
Comme l’a prévu le législateur dans la loi dite « climat et résilience », les différents plans structurant la politique de l’alimentation doivent être coordonnés dans une stratégie de transition alimentaire de long-terme, prenant en compte les éléments de prospective en matière agricole, économique, environnementale, sanitaire, sociale et sociétale et proposant un cap clair de transition de notre système alimentaire vers la durabilité. La convergence des objectifs de santé (prévention de l’obésité et des autres maladies liées au régime alimentaire) et de transition écologique (réduction des émissions de gaz à effet de serre, et des intrants chimiques) contribuera à la transformation du modèle de production agricole et agro-alimentaire.
[1] « Les régimes alimentaires sains et durables sont des habitudes alimentaires qui promeuvent toutes les dimensions de la santé et du bien-être des individus. Ils présentent une faible pression et un faible impact environnementaux, sont accessibles, abordables, sûrs et équitables, et sont culturellement acceptables. Les objectifs des régimes alimentaires sains et durables sont d’atteindre la croissance et le développement optimaux de tous les individus et de soutenir le fonctionnement ainsi que le bien-être physique, mental et social à toutes les étapes de la vie, pour les générations actuelles et futures ainsi que de contribuer à la prévention de toutes les formes de malnutrition (c’est-à-dire la sous-nutrition, les carences en micronutriments, le surpoids et l’obésité), de réduire les risques de MNT liées au régime alimentaire et de soutenir la préservation de la biodiversité et de la santé de la planète. Les régimes alimentaires sains et durables doivent associer toutes les dimensions de la durabilité afin d’éviter toute conséquence indésirable » : FAO-OMS (2020), Régimes alimentaires sains et durables. Principes directeurs, Rome, 44 p., ici p. 11.
[2] Malassis L. (1994), Nourrir les hommes, Paris, Dominos-Flammarion, 110 p.