Ce billet propose une approche qui permet de vérifier que ce dynamisme américain supérieur se traduit également par un renouvellement plus important des très grandes capitalisations boursières.
La littérature économique indique que l’âge des firmes est en général corrélé négativement aux taux de croissance des ventes, de la productivité et de l’emploi ainsi qu’à la variance de ces taux[1]. Autrement dit, les firmes jeunes ont un potentiel de croissance plus élevé que les firmes matures même si leurs taux de croissance sont plus erratiques. Ceci serait tout particulièrement vrai pour ce qui est de la croissance de l’emploi au sein des firmes (Coad et al., 2013) et (Haltiwanger et. al., 2013). L’âge est également négativement corrélé à la capacité à convertir la croissance de l’emploi en croissance de la productivité, des ventes et des profits (Coad et al., 2013) : les firmes jeunes ont donc davantage intérêt que les firmes matures à miser sur la croissance de leurs effectifs.
Avoir des firmes jeunes et en capacité de croître rapidement est donc important pour une économie, à la fois pour sa productivité, son niveau d’emploi et sa propension à innover. Force est de constater que la France et les États-Unis se différencient non pas par la part des jeunes entreprises dans le nombre total d’entreprises mais bien par le taux de croissance moyen des jeunes entreprises (Criscuolo et. al., 2014). Ces résultats récents viennent confirmer ceux de Bartelsman et al. (2005). Un rapport de l’OCDE sur les politiques d’innovation aboutit à des conclusions proches pour ce qui est des entreprises innovantes (OCDE, 2014). Aux États-Unis, le processus d’« up or out » est donc plus marqué qu’en France. Simultanément, la réallocation des facteurs de production des entreprises les moins productives vers les plus productives y est aussi plus prononcée (Sode, 2016).
Philippon et Véron (2008) montrent que ce dynamisme démographique est également plus fort pour les très grandes entreprises. Ils notent que les plus grandes entreprises américaines voient leur position plus facilement contestée par des concurrents que leurs homologues européennes. Selon le cabinet Innosight (2012), le rythme de renouvellement des 500 premières valeurs américaines a fortement accéléré depuis le milieu des années 1990.
Nous cherchons ici à actualiser ces analyses en prenant le cas des plus grandes entreprises afin de tenir compte de l’influence du développement des géants du numérique. Pour ce faire nous observons le niveau et l’évolution de l’âge moyen des capitalisations boursières des très grandes entreprises en France et aux États-Unis. Cet âge moyen peut être conçu comme un indicateur, à l’une des extrémités de la population des entreprises, des processus de renouvellement et de capacité pour les firmes relativement jeunes de croître significativement. Pour chaque pays, l’indice d’âge moyen est la somme des âges de chaque entreprise pondérés par la part de l’entreprise dans la capitalisation totale de l’échantillon du pays. Nous nous fondons sur la base de données développée par Véron (2008) relative aux âges des entreprises françaises et américaines, en l’actualisant et en la complétant.
L’indice est calculé pour chaque année à partir de la liste des 150 premières capitalisations américaines et des 70 premières capitalisations françaises. Ces valeurs correspondent à un même facteur d’écart entre la première et la dernière capitalisation des deux pays pour 2015 : la première capitalisation américaine vaut environ vingt fois la 150e en 2015, la première capitalisation française vaut également vingt fois la 70e la même année. Sont également calculés des indices pour les 100 et 50 premières capitalisations américaines et les 50 et 30 premières capitalisations françaises. Est aussi calculé un taux de renouvellement annuel de l’échantillon des 150 premières valeurs américaines et des 70 premières valeurs françaises. Ce taux correspond, pour chaque année, à la part des entreprises qui n’étaient pas présentes dans la liste l’année précédente.
Sources : Datastream, Véron (2008), France Stratégie
En 2015 l’âge moyen pondéré des 150 premières capitalisations américaines (courbe bleu foncé) était de 91 ans, il était de 44 % inférieur à celui des 70 premières françaises (courbe rouge vif) "âgées" en moyenne de 132 ans. Cet écart était de seulement 23 % en 2000.
Les âges moyens dépendent en partie de la composition sectorielle des échantillons. Un échantillon comportant une part importante d’entreprises appartenant aux secteurs des nouvelles technologies aura tendance à avoir un âge moyen relativement faible. Si l’on exclut les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) la divergence entre la France et les États-Unis est moins forte mais perdure, l’écart d’âge en 2015 n’étant plus de 44 % mais de 32 %. Retirer les principales entreprises du secteur financier, particulièrement volatiles en cas d’instabilité financière, en France comme aux États-Unis, ne modifie pas les évolutions des courbes, cela conduit simplement à les translater vers le bas d’environ 5 à 6 ans dans les deux pays sur la période. Modifier la taille des échantillons ne change pas sensiblement les résultats.
Le taux de renouvellement annuel moyen des échantillons est de 11,5 % aux États-Unis et de 9 % en France sur la période. Aux États-Unis, 56 % des 150 premières entreprises de 2015 ne figuraient pas dans l’échantillon de 2000, c’est le cas de 44 % des 70 premières françaises. À noter que le krach des années 2000-2001 contribue fortement au taux de renouvellement américain entre 2000 et 2015. Il faut garder présent à l’esprit que la sortie d’une entreprise de l’échantillon peut résulter de fusions et acquisitions et pas d’un renouvellement de la liste au sens strict : la fusion libère une place dans l’échantillon pour la 151e/71e valeur de la liste avant fusion. Les fusions et acquisitions participent au renouvellement du tissu productif et il est donc justifié de les inclure dans l’étude.
Cette analyse simple démontre que l’âge moyen des principales capitalisations boursières est plus faible aux États-Unis qu’en France et que cet écart s’est accru au cours des quinze dernières années, même lorsque l’on exclut les GAFA.
Ce résultat confirme, pour les plus grandes entreprises, les résultats de la littérature économique obtenus pour des entreprises plus petites : le renouvellement du tissu économique est plus rapide aux États-Unis qu’en France. Aux États-Unis, les entreprises plus jeunes sont plus rapidement en mesure de contester les positions des entreprises plus anciennes, y compris les plus grandes.
Références
- Aubrey et al. (2015), « Supporting Investors And Growth Firms », Policy Network.
- Bartelsman, E., Scarpetta S. and Schivardi F. (2005), “Comparative Analysis of Firm Demographics and Survival: Evidence from Micro-Level Sources in OECD Countries”, Industrial and Corporate Change, 14(3), p. 365-391.
- Cincera M. et Veugelers R. (2010), “Europe’s Missing Yollies”, Bruegel Policy Brief, août.
- Coad A. et. al. (2013), “Like Milk or Wine : Does Firm Performance Improve with Age ?”, in Structural Change and Economic Dynamics, 24, p.173-189.
- Criscuolo C., Gal P. N. and Menon C. (2014), “The Dynamics of Employment Growth: New Evidence from 18 Countries”, OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, No. 14, OECD Publishing.
- Haltiwanger J., Jarmin R.S. and Miranda J. (2013), “Who Creates Jobs? Small Versus Large Versus young”, The Review of Economics and Statistics 95(2), 347-361.
- Innosight (2012), “Creative Destruction Whips through Corporate America”, Executive Briefing.
- OCDE (2014), « Examen de l’OCDE des politiques d’innovation – France », version préliminaire.
- Philippon T. et Véron N. (2008), “Financing Europe’s Fast Movers”, Bruegel Policy Brief, janvier.
- Sode A. (2016), “Comprendre le ralentissement de la productivité en France”, La Note d’analyse n°38, France Stratégie, janvier.
- Véron N. (2008), “The Demographics of Global Corporate Champions”, Bruegel Working paper, juillet.
[1] Pour une revue de la littérature, voir Coad et al. (2013).