Introduction
1/ Le modèle social français, on s’y réfère souvent, en forme d’incantations et quelles que soient ses orientations politiques ou philosophiques. En fait, nul n’a songé à vraiment le définir ; les critères que l’on met en évidence pour attester de son existence, d’autres Nations s’en servent aussi pour illustrer l’identité du leur. À tout le moins en matière de retraite met-on en première ligne la répartition ; mais dans la quasi-totalité des États de l’Union européenne, les régimes légaux fonctionnent en répartition. Par ailleurs – et parce qu’on veut, c’est louable et légitime, donner de la force à l’Europe – on s’efforce également de parler et de vanter le modèle social européen, qui n’est pas davantage cerné, notamment par différences avec d’autres et de surcroît nul ne songe à s’intéresser vraiment – ce serait pourtant instructif – aux différences avec le modèle social français.
Voilà pourquoi il m’apparaît que, dans un premier temps, un peu d’histoire est nécessaire pour marquer les étapes d’une construction mais aussi pour mettre en évidence un réel continuum dans l’évolution (I). Ensuite il est nécessaire, par souci de rigueur, de mettre en évidence que le droit social se nourrit de la conjonction des droits du travail, de la sécurité sociale, de la protection sociale, de l’action sociale. De ce fait, le cloisonnement des disciplines est préjudiciable à la science, d’autant plus que, en matière de protection sociale, on s’intéresse beaucoup plus aux liaisons entre fiscal et sécurité sociale, y compris pour identifier leurs domaines respectifs (II). Enfin et si on entend être prospectif, il est indispensable d’investir le concept de garantie sociale qui permet de dépasser l’approche assurantielle grâce en particulier à la prise en compte de la solidarité, mais aussi est vectrice de démocratie sociale (III).
2/ En préambule de ces trois sujets d’études, il me paraît indispensable, parce que cela est de nature à les relier dans une réflexion prospective, de mettre en exergue le rôle de l’Europe, qu’il s’agisse au demeurant de la grande Europe, celle couverte par la conv. EDH, ou de l’Union européenne. Il est assez stupéfiant que très majoritairement les Français s’affirment très favorables à l’idée de la construction de l’Europe et qu’en même temps ils en ignorent l’essentiel, voire en méprisent souverainement les règles. Le social n’échappe pas à ce constat qui devrait inciter à une thèse de sociologie juridique.
Les pensées et les propositions, en matière de politiques sociales, sont fondées, en France, sur l’opposition entre ce qui relève de la compétence de l’État – entendu ici y compris les collectivités locales – et ce qui ressort d’initiatives privées, quels qu’en soient les auteurs. Cela tient à la fois au poids de la sécurité sociale et sans doute au jacobinisme qui conditionnent notre vie démocratique. La construction européenne n’est pas conçue sur la base d’un tel classement. Par exemple serait considérée comme haïssable l’affirmation que le SMIC est une institution inégalitaire. Pourtant à Saint-Denis (donc à Paris) on vit 15 jours par mois sur le revenu se limitant à un tel salaire tandis que à Saint-Flour (dans le Cantal) on épargne. C’est qu’on ne tient pas compte, bien qu’on le sache parfaitement, des différentiels colossaux entre pouvoirs d’achats liés au logement et à la nourriture.
.../
Téléchargez la contribution de Jacques Barthélémy (PDF) :