Avec la loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République, la politique de l’emploi fait un pas de plus dans l’ère de la gestion locale. La logique n’est plus (seulement) celle de la territorialisation ou de la déconcentration, qui consiste à mettre en œuvre la politique nationale de lutte contre le chômage en l’adaptant le cas échéant aux spécificités des territoires concernés. Les territoires sont désormais « un échelon pertinent pour penser la politique de l’emploi ». Qu’il s’agisse de formation et d’insertion professionnelle des jeunes, de reconversion des salariés victimes de restructuration industrielle, de réinsertion des chômeurs de longue durée ou encore d’intégration des travailleurs handicapés, les régions et les métropoles innovent, expérimentent et évaluent. Comment ?
À Nantes : un pacte métropolitain pour l’emploi
Nantes Métropole est un cas d’école. Deuxième agglomération française en termes de croissance de l’emploi (+ 2 % par an depuis quinze ans), elle a su s’emparer d’une loi qu’elle a par ailleurs inspirée : la loi Mapam – Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – qui clarifie les compétences des collectivités territoriales en créant notamment des organes de concertation entre les collectivités et en confiant aux métropoles un rôle moteur du dynamisme régional. Dans ce cadre, le pacte métropolitain pour l’emploi vise à « soutenir » : les dispositifs nationaux (emplois d’avenir), les entreprises, la création d’activité dans les quartiers prioritaires, les démarches de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) notamment sur les métiers du numérique, de la gestion des déchets et du bâtiment… Comme le souligne Laetitia Degoulange, directrice de l’emploi et de l’innovation sociale à Nantes Métropole, « il ne s’agit pas d’agir à la place de, mais de participer avec ses moyens ».
Nantes expérimente aussi. Il s’agit même d’une « posture » nous dit Laetitia Degoulange. Une posture qui répond à une logique de projet de territoire, bien sûr, mais aussi d’activation des dépenses et de mobilisation des acteurs socioéconomiques. Exemple avec l’expérimentation en cours d’un partenariat renforcé collèges/entreprises pour l’accès aux stages ou encore du projet « accès à l’entreprise » dans le cadre de la garantie jeune qui vise la sensibilisation et l’orientation vers l’apprentissage dans les métiers de l’artisanat avec 550 jeunes en entreprise d’ici fin 2016.
En Nouvelle Aquitaine : les « Usines du futur »
Le retour à l’emploi des publics défavorisés n’est pas la seule mission des territoires. Loin s’en faut. Raphaël Dupin, directeur de cabinet adjoint au Conseil régional, le rappelle : le développement économique est une compétence primordiale de la région. Soutenir les entreprises et « accompagner ceux qui innovent » répond en l’espèce à un triple objectif de compétitivité, d’innovation et d’équité territoriale, objectif auquel le SRDEII – Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation prévu par la loi NOTRe – confère désormais un cadre prescriptif. Projet exemplaire s’il en est, le dispositif « Usines du futur » lancé il y a trois ans par la région Nouvelle Aquitaine accompagne les entreprises (tous secteurs confondus) dans leur projet de développement en mettant à leur disposition un cabinet d’audit spécialisé. À la clé (pour plus de deux cents entreprises à ce jour) : des gains de productivité, une gouvernance améliorée, de l’innovation et souvent… des recrutements.
Plus généralement, sur le volet aides aux entreprises – où l’on pense notamment à la success-story de Repetto – comme sur ceux de la qualification des demandeurs d’emploi ou de l’apprentissage, le secret de la réussite, c’est le « sur-mesure sur-projet » assure Raphaël Dupin. En témoigne le dispositif CADET – pour « Contrats aquitains de développement de l’emploi dans les territoires » – conçu comme une approche expérimentale pour soutenir le développement économique, la formation et l’accès à l’emploi dans les territoires en mutation confrontés à des difficultés économiques.
Seul point noir au tableau, « les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous » en termes d’impact économique et lorsqu’ils le sont, ils sont difficilement mesurables. Les évaluations des expérimentations nécessitent un travail de mesure ex post sur plusieurs années. Chercher à les délivrer en temps réels, c’est prendre le risque « de confondre économie résidentielle et économie productive » affirme Raphaël Dupin. Typiquement, le taux de chômage n’est pas un bon indicateur de la politique de l’emploi sur les territoires. La Lozère dépeuplée réussit mieux en l’espèce que la région de Bordeaux qui doit absorber 8 000 cadres par an fuyant l’Île-de-France !
Métropole du Grand Lyon : réconcilier insertion et développement économique
Avec 123 000 demandeurs d’emploi, 38 000 allocataires du RSA et plus de 56 000 bénéficiaires de la prime d’activité au 1er janvier 2016, il n’est pas étonnant que la métropole Grand Lyon se soit fixé pour ambition première l’insertion dans l’emploi. Originalité de la méthode : elle a choisi de le faire avec le PMI’e – « Programme métropolitain d’insertion pour l’emploi » – qui associe les acteurs de l’emploi et du développement économique avec pour objectif de les faire dialoguer et d’aboutir à un projet commun orienté vers l’accès à l’activité des bénéficiaires du RSA. Il s’agit, souligne Olivier Rouvière, chef du service mobilisation des entreprises et accès à l’emploi pour la métropole, de « construire une stratégie partagée ». C’est à cette condition qu’elle sera une réussite « exemplaire ». Illustration de ce dialogue : la mise en place de « chargés de liaison entreprises/emplois » qui met en lien les entreprises et les professionnels de l’insertion, de créer en somme « un marché de l’insertion » où offre et demande peuvent (enfin) se rencontrer. Objectif à terme « 1 000 entreprises pour l’insertion ».
Autre trait caractéristique de cette démarche partenariale et inclusive : l’évaluation. Elle se veut « intelligente » (une mesure de l’utilité sociale et un outil d’amélioration des politiques publiques plutôt qu’une justification comptable) et « pensée avec toutes les parties prenantes » qui interviennent, institutions, entreprises, experts mais aussi usagers.
Bourgogne-Franche-Comté : l’heure de la concertation
Première région industrielle de France, dépourvue (pour l’instant !) de métropole, la Bourgogne-Franche-Comté est aussi un territoire marqué par de fortes disparités infrarégionales. Cette spécificité ajoutée au fait que 93 % des entreprises sont des PME de moins de dix salariés invite à un travail de rassemblement. Comment ? En inscrivant la région dans une Conférence sociale, lieu de dialogue entre tous les acteurs (des opérateurs de branche au rectorat) pour l’élaboration commune d’initiatives locales en direction de la création d’emploi, du développement économique, de la formation professionnelle et de la sécurisation des parcours. Dans son document d’intention, l’instance a notamment décidé d’étendre ou de pérenniser des dispositifs qui ont fait leur preuve après expérimentation.
Muriel Vergès-Caullet, conseillère régionale déléguée au service public de l’orientation, cite par exemple la CDIsation des contrats de professionnalisation et « les passeports professionnels ». Plus largement, l’exercice de concertation, ce « quadripartisme » territorial, est un moyen de parvenir à un diagnostic partagé sur ce qui crée vraiment de l’emploi, sur les secteurs à ouvrir aux opportunités (numérique, emplois verts, services à la personne), sur les moyens de lever des financements ou encore de simplifier les dispositifs…
Île-de-France : priorité à l’apprentissage
…une simplification que Grégoire Charbaut, directeur de la stratégie et des territoires au Conseil régional d’Île-de-France, semble appeler de ses vœux lorsqu’il évoque « la schématologie » des compétences des régions en matière de politique de l’emploi ! Et de « schémas » il en est effectivement beaucoup question – du SRDEII au SRESRI (Schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation) – auxquels s’ajoutent les stratégies – la SCEOF par exemple (Stratégie coordonnée en matière d’emploi, d’orientation et de formation professionnelles) – et les contrats – de plan régional ! Beaucoup d’acronymes qui dessinent ensemble la somme des compétences de la région pour le développement et l’emploi.
Dans ce cadre (complexe), la région Île-de-France s’est fixé pour premier objectif le développement de l’apprentissage avec une ambition chiffrée : passer de 80 000 à 100 000 apprentis d’ici 2020 en signant notamment des « contrats de performance » avec chaque centre de formation des apprentis francilien. Autre mesure phare : le projet « 100 000 stages » qui conditionne le versement de subventions aux entreprises au recrutement d’un stagiaire. « Passerelles-entreprises », « chantiers-écoles », dispositif « avenir jeunes », la région multiplie les initiatives en direction de l’insertion professionnelle des jeunes et de l’accès à l’emploi avec une attention particulière en 2016 pour les personnes en situation de handicap. Reste à évaluer les dispositifs et, en la matière, la région a développé ses propres outils de pilotage dans une démarche plurielle associant la cartographie des bassins d’emploi, le traitement de Big Data sur l’emploi ou encore les enquêtes d’insertion professionnelle…
… parce qu’on l’aura compris lors de cette rencontre, l’expérimentation ne vaut que si elle peut être correctement évaluée et partagée. Il faut donc se méfier, nous dit Muriel Vergès-Caullet lors du débat, des pratiques de reporting qui ne tiennent pas compte des « réalités de terrain » et chercheraient à tirer des indicateurs de résultats quantitatifs d’échantillons non représentatifs parce que prélevés sur « des publics localo-locaux » ! Il faut aussi parfois faire sans données, note Olivier Rouvière, qui déplore n’avoir aucun chiffre concernant la situation d’un tiers de ses sortants du RSA. Comment savoir dans ces conditions si le dispositif d’accompagnement est efficace ? Réponse (parmi d’autres) de Laetitia Degoulange : en complétant l’approche quantitative par du qualitatif. L’avis et le retour d’expérience des publics intéressés est souvent le meilleur indicateur. Et de souligner qu’une autre variable conditionne le succès d’une expérimentation : la concertation. Fil rouge des interventions pourtant diverses, la consultation de toutes les parties prenantes en amont apparaît comme une nécessité, au risque sinon « d’accompagner dans le désert » note Olivier Rouvière, c’est-à-dire de lancer un dispositif ad hoc qui ne part pas de la réalité et de rencontrer au mieux l’incompréhension, au pire la non-adhésion. Donc l’expérimentation locale, oui, mais concertée en amont même si le temps d’élaboration collective est long, correctement évaluée et à condition de savoir y mettre fin lorsqu’elle ne donne pas de résultats objectifs, souligne Raphaël Dupin qui constate « qu’arrêter les fausses bonnes idées est une vraie difficulté » ! Enfin à la question, soulevée par Fabrice Lenglart, commissaire général adjoint de France Stratégie, de savoir si les métropoles ont un rôle « diffuseur » en matière d’emploi, il y a consensus pour dire qu’on n’observe ni « ruissellement automatique ni captation ». La réponse se trouvant sans doute dans un entre-deux d’autant plus délicat à appréhender que le périmètre des métropoles comme la définition de l’arrière-pays n’est pas une donnée arrêtée.
Il n’y a donc pas de recette toute faite pour créer de l’emploi dans les territoires mais des ingrédients communs, à commencer par l’expérimentation locale et la concertation. Un constat que les cinq prochaines séances de travail viendront étoffer, avec un premier rendez-vous fixé le 17 janvier 2017 pour parler des méthodes d’évaluation.