L’évolution de l’acidité des océans qui entraîne la disparition des massifs coralliens et menace plus généralement la vie marine, la fonte des glaces, la montée du niveau de la mer, la répétition des phénomènes climatiques extrêmes et de plus en plus intenses(1) (tornades, inondations, canicules, sécheresse…) nous montrent que le changement climatique est à l’œuvre et que nous serons témoins, sinon victimes, de ses conséquences beaucoup plus rapidement que prévu. La liste des principaux phénomènes météorologiques et climatiques survenus en 2013, qui figure en fin de cette tribune et qui a été établie par l’Organisation météorologique mondiale, est pour le moins impressionnante, - même si elle ne peut être considérée comme une preuve du réchauffement climatique, mais, tout au plus, comme l’une de ses éventuelles manifestations. Le GIEC vient de publier les trois volumes scientifiques de son cinquième rapport. Dans l’attente de la synthèse finale qui sera rendue publique à Copenhague en octobre, les premiers enseignements sont néanmoins clairs : le réchauffement du système climatique est incontestable(2) ; l'influence de l'homme est, de manière quasi-certaine, la cause majeure du réchauffement observé depuis le milieu du XXe siècle ; nous allons être confrontés dans les prochaines années à des événements climatiques extrêmes probablement plus violents et plus nombreux : canicules et sécheresses plus fréquentes, plus longues et dont la succession à des rythmes accrus plusieurs années de suite renforceront les conséquences négatives, irruptions d’air polaire glacial, pluies diluviennes et inondations, cyclones tropicaux probablement plus intenses, récoltes insuffisantes...
Enseignement particulier de ce rapport : 90 % de la chaleur accumulée depuis 1970 se concentre dans les océans (surtout, depuis 2000, entre 700 et 2 000 mètres de profondeur) menaçant encore plus les écosystèmes marins. Une partie de cette énergie est mobilisée dans des mouvements océaniques périodiques, tel El Nino, dont la fréquence augmente.
Plus grave, alors même que nous avons fêté en 2012 le vingtième anniversaire du sommet de la Terre à Rio qui a marqué le début de la lutte contre le changement climatique et la naissance de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, jamais les émissions mondiales de gaz effet de serre n’auront augmenté aussi rapidement que durant la décennie 2000-2010, en moyenne de plus d’une gigatonne de CO2 par an.
La conclusion est encore plus certaine : si nous voulons encore avoir une chance de limiter à la fin de ce siècle à moins de 2°C l’augmentation de la température de notre planète, nous devons modifier profondément nos économies, nos investissements actuels et nos modes de vie, et réduire de 40 à 70 % nos émissions d’ici à 2050. De plus, nous devons agir très rapidement… Nous en sommes loin.
Même si elle ne figure pas dans le résumé à l’intention des décideurs, une figure est particulièrement intéressante dans le rapport du GIEC qui vient d’être publié à Berlin : celle qui donne les émissions de gaz à effet de serre annuelles des différents pays du monde selon la classification en quatre groupes des économies retenue par la Banque mondiale en 2013(3). Cette division repose sur les estimations du revenu national brut (RNB) par habitant en 2012. Le résultat est flagrant : sous l’impulsion principale de la Chine, et à un degré moindre du Brésil et de l’Afrique du Sud, les émissions des 55 pays de la seconde tranche, autrement dit des pays dits à « revenus intermédiaire de la tranche supérieure », ont émis en 2010 autant de gaz à effet de serre que les 76 pays de la première tranche, dite des pays à revenu élevé. Nous sommes ici très loin de la division du monde de la première conférence de Rio qui, au sortir de la guerre froide, considérait d’un côté les pays développés qui devaient être soumis à des obligations de réduction de leurs émissions, - ce sera le protocole de Kyoto et son annexe B(4) -, des autres pays dont les émissions étaient négligeables et qui n’étaient soumis à aucune autre contrainte.
Émissions mondiales de gaz à effet à effet de serre depuis 1990 répartis entre les pays suivant la classification de la Banque mondiale
Source : Figure 1-6, p. 25, rapport IPCC, Working Group III – Mitigation of Climate Change Chapter 1, Introductory Chapter, Https://.ipcc.ch/report/ar5/wg3/
Autrement dit, la division du monde sur laquelle nous nous appuyons depuis le sommet de la terre à Rio en 1992 pour lutter contre le changement climatique n’est plus pertinente et les pays développés ne doivent plus être les seuls soumis à des obligations de réduction. Cette manière de raisonner a naturellement entraîné de fortes réactions au début du mois d’avril à Berlin lors de la mise au point du résumé à l’intention des décideurs : certains pays émergents craignant de voir occulter la responsabilité historique des pays développés et cherchant à éviter les conséquences qui pourraient en être tirés ont demandé le retrait des figures et tableaux correspondants… ce qu’ils ont obtenu. La question du partage du fardeau devient ainsi de plus en plus inextricable. Cette figure nous montre de plus qu’en 20 ans, les pays développés n’ont réussi qu’à stabiliser leurs émissions tandis que l’essentiel de la croissance des émissions provient des pays émergents.
Les enseignements de ces trois rapports sont donc extrêmement simples : il nous faut agir vite et les pays émergents doivent se mobiliser aux côtés des pays développés. Tenter de recréer un nouveau protocole de Kyoto dans lequel nous imposerions à tous les pays une réduction obligatoire de leurs émissions à 2030 serait néanmoins une erreur. Cette solution, bien séduisante aux yeux des cartésiens que nous sommes, n’est tout simplement acceptable ni aux yeux des Américains, qui refusent toute idée d’un nouveau Kyoto et dont le Sénat n’autoriserait pas la ratification, ni aux yeux des pays émergents qui refusent de voir les occidentaux entraver leur développement. La résolution de cette nouvelle « tragédie » des biens communs réside dès lors dans une approche bottom up, reposant sur les engagements volontaires des différents pays (5) : charge à l’Union européenne (6) et à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de sommer le total des réductions ainsi promises, de constater - très probablement – son insuffisance et de leur demander, avant la conférence du Bourget en 2015, d’augmenter leurs efforts : les négociations entre l’Union européenne et les deux principaux émetteurs que sont la Chine et les États-Unis seront ici cruciales. Il faudra de plus prévoir des révisions régulières des engagements des différents pays et tenir compte, dans le chiffrage, du dérapage prévisible dans le futur des émissions d’un certain nombre de pays qui seront confrontés à de fortes difficultés économiques, qui n’arriveront pas à réduire leurs émissions ou dont les gouvernements, à un moment donné, ne croiront pas en la nécessité de lutter contre le changement climatique ou, par pur égoïsme ne voudront pas s’y lancer, se comportant ainsi en véritables passagers clandestins, bénéficiant de l’effort commun sans y participer.
Cette résolution réside également dans l’encouragement à l’innovation et à la recherche de nouvelles solutions : ainsi que le soulignait le Commissariat général à la stratégie et à la prospective dans sa note d’analyse sur les instruments économiques au service du climat (7), il nous faut comprendre que nous devons désormais nous engager dans un paysage climatique hétérogène dans lequel les pays adopteront leurs propres objectifs et chercheront à inventer leurs propres outils économiques qui ne proviendront par toujours du sommet d’une organisation mondiale onusienne, aussi puissante et nécessaire soit-elle. Ce paysage constitue une opportunité d’expérimentation inédite, grandeur nature, de différents mécanismes économiques (8) et de nouveaux schémas de coopération. Il permettra également d’éprouver l’engagement environnemental de chaque pays.
Il devra enfin, dans l’esprit des travaux d’Elinor Ostrom (9), intégrer les initiatives des entreprises, des territoires, des régions (10), des métropoles, des villes mais aussi des ONG et des citoyens : la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques n’aurait plus alors pour rôle d’imposer des prescriptions à l’humanité tout entière, mais de favoriser les nouvelles initiatives, de veiller à leur cohérence et de diffuser celles qui seront le plus efficaces. La diffusion d’un signal-prix du carbone, - ô combien nécessaire pour faire évoluer nos modèles économiques et parvenir à réduire nos émissions -, sous forme non seulement de marchés reliés du carbone mais aussi de tout autre instrument économique adapté, en serait le meilleur exemple.
L’invention de ce nouveau paysage de la coopération internationale, plus hétérogène, plus complexe, loin d’être parfait dans les premiers temps, mais en capacité de sortir du blocage actuel, de redonner de la vigueur à l’entreprise onusienne et de répondre, à terme, au formidable défi du changement climatique pourrait constituer l’ambition forte du prochain accord mondial qui sera signé au Bourget en 2015.
Liste des principaux phénomènes météorologiques et climatiques survenus dans le monde en 2013, extraite de la déclaration de l’Organisation météorologique mondiale sur l’état du climat mondial en 2013, publié en mars 2014, https://www.wmo.int/pages/mediacentre/press_releases/pr_985_fr.html
PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES ET CLIMATIQUES SURVENUS DANS LE MONDE EN 2013
- Le typhon Haiyan (Yolanda), l’un des plus violents qui ait jamais atteint les côtes, a eu des effets dévastateurs dans le centre des Philippines.
- Dans l’hémisphère Sud, la température de l’air à la surface des terres était particulièrement élevée, ce qui a entraîné des vagues de chaleur de grande étendue ; en 2013, l’Australie a enregistré des températures records : 2013 se classe au deuxième rang des années les plus chaudes en Argentine et au troisième rang, en Nouvelle Zélande.
- Une partie de l’Europe et le sud-est des États-Unis ont été balayés par de l’air polaire glacial.
- Une grave sécheresse a sévi en Angola, au Botswana et en Namibie.
- De fortes pluies de mousson ont entraîné de graves inondations à la frontière indo-népalaise.
- Le nord-est de la Chine et l’est de la Fédération de Russie ont subi des pluies abondantes et des inondations.
- De fortes pluies et des inondations ont frappé le Soudan et la Somalie.
- Le sud de la Chine a été confronté à une grave sécheresse.
- Le nord-est du Brésil a souffert de la pire sécheresse de ces cinquante dernières années.
- Aux États-Unis, la tornade la plus large jamais observée a frappé la ville d’El Reno, dans l’Oklahoma.
- Des précipitations extrêmes ont entraîné de graves inondations dans les Alpes, en Allemagne, en Autriche, en Pologne, en République tchèque et en Suisse.
- Israël, la Jordanie et la République arabe syrienne ont subi des chutes de neige sans précédent.
- Une tempête de vent extratropicale a balayé plusieurs pays de l’ouest et du nord de l’Europe.
- Les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ont atteint des maximums records.
- Le niveau des océans a atteint de nouveaux maximums records.
- L’étendue de la banquise de l’Antarctique a atteint un maximum record.
1. Même si le coût des catastrophes climatiques une mesure imparfaite puisqu’elle dépend de l’habitat des zones géographiques concernées, son augmentation régulière en est un indicateur. Cf. Building Resilience : Integrating Climate and Disaster Risk into Development; The World Bank Group Experience, November 2013, http://climate-l.iisd.org/news/world-bank-report-discusses-building-climate-resilience/
2. Le lien entre les activités humaines (utilisation de combustibles fossiles et émissions dues aux changements d’utilisation des sols) et le réchauffement observé depuis le milieu du XXe siècle est passé de « très probable » (probabilité de 90-95 %) dans le quatrième rapport du GIEC, à « extrêmement probable » (soit une probabilité de 95 %-100 %) dans le cinquième.
3. http://donnees.banquemondiale.org/actualites/classification-des-pays-2013. Au 1er juillet 2013, la répartition des économies selon le RNB par habitant s’effectue donc comme suit :
- pays à faible revenu : 1 035 dollars ou moins ;
- pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure : de 1 036 à 4 085 dollars (dont l’Inde) ;
- pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure : de 4 086 à 12 615 dollars (dont la Chine, le Brésil et l’Afrique du sud) ;
- pays à revenu élevé : 12 616 dollars ou plus (dont la Russie).
4. L’Annexe I regroupe l’Australie, le Canada, l’Union européenne et ses membres, les États-Unis (qui ne ratifieront pas le protocole), l’Islande, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Suisse, la Turquie, la Biélorussie, la Fédération de Russie, l’Ukraine. L’Annexe B comprend les pays de l’Annexe I, sans la Biélorussie et la Turquie. S’y ajoutent la Croatie, le Liechtenstein, Monaco et la Slovénie.
5. Doha, Varsovie, des conférences de transition vers un accord climatique mondial en 2015, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, note d’analyse, Dominique Auverlot, Blandine Barreau, octobre 2013.
6. Quel rôle pour l’Europe dans les négociations climatiques internationales ?, Centre d’analyse stratégique, note d’analyse, Dominique Auverlot, Blandine Barreau, département Développement durable, novembre 2012.
7. Les instruments économiques au service du climat, Centre d’analyse stratégique, note d’analyse, Johanne Buba, département Développement durable, et Mahdi Ben-Jelloul et Clément Schaff, département Économie-Finances, novembre 2011.
8. Mécanismes de projet issus du Protocole de Kyoto, mais rénovés, mécanismes de projet régis par d’autres modalités que celles aujourd’hui en vigueur à la CCNUCC, mais dont les progrès seront suivis par cette même organisation, accords entre entreprises de différents pays d’un même secteur, des financements bilatéraux ou multilatéraux, etc.
9. A Polycentric Approach for Coping with Climate Change, Ostrom E. (2009), document préparé pour le World Development Report 2010 de la Banque mondiale.
10. Le prochain sommet du R20 (R20 Regions of Climate Action), organisation non-gouvernementale fondée en 2010 par Arnold Schwarzenegger, se tiendra à Paris en octobre prochain et devrait adopter une déclaration en vue su sommet du Bourget en 2015.