Le laboratoire d’innovation publique est un concept qui a le vent en poupe. « Zone neutre d’expérimentation », incubateur d’intelligence collective, espace de co-construction « réflexif » – « disruptif » diront certains – le Lab répond à la nécessité de concevoir « autrement » les politiques publiques, en partant notamment des besoins des usagers et des attentes des citoyens. L’Europe en compterait aujourd'hui une soixantaine dont ceux de Pôle emploi et de la région Bretagne en France. Avec quel bilan et quels enseignements pour une institution comme France Stratégie ?
Un Lab pour quoi faire?
Il n’y a pas de secret : pour innover il faut sortir de sa routine. C’est en d’autres mots ce qu’affirme la DITP (Direction interministérielle de la transformation publique, ex-SGMAP) en préambule de son manifeste pour l’innovation publique : « Les méthodes classiques des administrations prouvent souvent leurs limites par leur caractère bureaucratique et « top down ». L’innovation publique… appelle à la déconstruction de ces habitudes… ». Dans son manifeste, la DITP liste sept principes pour développer l’innovation dans la culture de l’administration française : partir des besoins des usagers et citoyens, coproduire : associer les parties prenantes autour de solutions concrètes, décloisonner les structures et les méthodes, agir, tester : c’est la méthode agile, et se donner « le droit à l’erreur », un concept popularisé dans le sillage de celui d’organisation apprenante. Le Lab est un lieu qui, dans sa conception, répond à ces exigences.
« Les Lab sont là pour mettre le doute dans des machines administratives qui filent tout droit vers la solution », résume Stéphane Vincent, co-fondateur et délégué général de l’association La 27e Région, laboratoire de transformation publique créé en 2008 avec les Régions de France. Avant même d’apporter des réponses innovantes en termes de dispositifs publics, un Lab « aide à penser autrement les problèmes », à reformuler des questions. Benoît Vallauri, responsable du TiLab, laboratoire régional d’innovation publique de Bretagne, parle même de « hacking des procédures » ! Quelle que soit la méthode d’animation utilisée, le but est de « casser la posture réunion », d’encourager la parole et même « les idées folles ».
La core team du Lab’ de France Stratégie lors d’une session de brainstorming sur l’offre de services du Lab’
Des post-it et des legos
Évidemment il ne suffit pas de créer un lieu – si propice soit-il à l’émergence de l’intelligence collective – pour que l’alchimie se produise. La créativité se stimule. Comment ? En utilisant des règles, des méthodes d’animation et des modes opératoires spécifiques.
On trouve ainsi dans les Lab « un mix de compétences et de disciplines particulier », note Stéphane Vincent : ethnographes, sociologues, spécialistes des usages, facilitateurs graphiques, experts de la conception créative et du « design de service » : une méthode qui permet d’étudier les « cheminements » de l’usager, d’imaginer des scénarios réalistes, parce que bâtis sur des observations de terrain, et de les expérimenter à travers des prototypes testés dans les conditions réelles. « Exploration, immersion dans les problèmes publics, tests utilisateurs, simulation de dispositifs publics, création de concepts et construction de scénarios prospectifs » constituent ainsi la base des modes opératoires en Lab.
Autre ingrédient de l’alchimie : des techniques originales de production d’idées alliant « post-it et mind-mapping », méthode ASE (Accelerated Solution Environment) inspirée, entre autres, de la pédagogie Montessori, voir Serious Play – des lego, le plus souvent, utilisés comme moyen de construire (littéralement) une idée. Une approche originale qui fera dire à Christophe Mirmand, préfet de Bretagne, lors de l’inauguration du TiLab : « C'est assez singulier de se retrouver assis sur des poufs et de travailler avec des post-it. Mais cela induit une créativité, et c'est l'effet recherché ».
La créativité tient pour beaucoup aussi à la qualité des animateurs. « Nous sommes garants des valeurs du Lab », explique Benoît Vallauri, « bienveillance, empathie, contribution, collaboration, convivialité » sont des règles fondamentales rappelées aux participants à chaque début d’atelier. La règle, c’est « de rebondir sur les idées des autres », pas de les contrer ou de les ignorer gentiment. La force du collectif se trouve là. Pour co-construire, il faut être à l’écoute des autres et s’emparer de ce qui est mis en débat, quel que soit son préjugé de départ.
Acteurspublics TV a interviewé Véronique Fouque, secrétaire générale et directrice du développement de France Stratégie,
et Charles Bozonnet, chargé de mission au pôle Développement
Une méthode qui a fait ses preuves
Pour se faire une idée de l’efficacité des Lab, on peut aller voir du côté des précurseurs. Le MindLab est le plus ancien laboratoire d’innovation publique au monde. Créé au Danemark en 2002, il a œuvré seize ans jusqu’à son remplacement récent par une task force dédiée à la réforme digitale du service public. Un recul suffisant pour faire le bilan. En vitesse de croisière, le MindLab a traité dix à quinze projets par an dont le plus connu – nommé « Chasseurs de fardeau » – est devenu un cas d’école, parce qu’il a permis de changer radicalement la relation administrations/entreprises privées. Le MindLab a également conduit de grands exercices de prospective et accompagné des programmes de recherche. Surtout, il a fait évoluer en profondeur la structure organisationnelle des administrations danoises en « apprenant à des centaines d’agents publics à penser comme des innovateurs ». Une expérience, et des résultats en termes d’efficacité, qui ont largement inspiré à l’international. Notamment le Nesta britannique ou encore le Laboratorio para la Ciudad de Mexico City.
Plus près de nous, Le LAB Pôle emploi créé en 2014 avec l’objectif de « travailler en transversalité, rapidement, en impliquant les usagers et en réduisant les coûts », revendique déjà de nombreux succès, notamment l'émergence de l'Emploi Store et de services numériques dédiés à la mobilité. Pôle emploi a vu les choses en grand : dix agents travaillent pour le LAB dont un binôme de facilitateurs spécialement formés aux techniques de production d’idées, et leurs ateliers de co-conception peuvent rassembler jusqu’à cinquante acteurs - du demandeur d’emploi à la start-up en passant par le conseiller Pôle emploi, le DRH ou l’expert.
Une telle aventure est-elle envisageable à France Stratégie ? Oui, affirme Véronique Fouque. La Secrétaire générale et directrice du développement de France Stratégie en est convaincue : « L’exercice de prospective 2017-2027 a montré que la mise en commun de nos différents savoir-faire était extrêmement créatrice de valeurs », or le Lab’ est un moyen de « capitaliser sur la diversité des profils d’experts présents à France Stratégie » et de miser sur la transversalité. Par ailleurs, si l’institution n’est pas en rapport direct avec l’usager, elle a en revanche à « comprendre les attentes, les valeurs et les craintes potentielles des citoyens face aux politiques publiques » pour pouvoir les penser autrement. Le Lab’ constitue là aussi le bon moyen de « faire entrer » le citoyen dans les débats et de l’associer à l’élaboration des diagnostics, des scénarios prospectifs ou encore des recommandations des experts. « Nous réfléchissons notamment à l’organisation d’ateliers citoyens », précise la directrice du développement. Enfin comme dans toute organisation, le renouvellement des pratiques est une nécessité. Parce qu’il facilite la créativité, le Lab’ est porteur de ce changement. « Avoir un lieu de discussion ouvert au-delà des codes hiérarchiques est une nécessité quand on a l’ADN d’un think tank », observe Véronique Fouque. Le Lab’ de France Stratégie se veut par ailleurs « un projet maison ». Pas question ici de constituer une équipe dédiée à l’animation des ateliers, mais bien plutôt de doter chaque agent souhaitant s’investir d’une compétence d’animateur.
Une série d’arguments suffisante pour mettre le projet sur les rails. Une « core team » s’est formée aux méthodes de création d’un Lab avec les MOOCs de la DITP. Des agents volontaires ont entrepris une « learning expedition » au Centre de recherche interdisciplinaire et une première synthèse de l’identité du Lab’ circule déjà. Ne reste plus qu’à « embarquer » toute l’institution dans le projet.